LORENZ KONRAD (1903-1989)
La polémique de l'inné et de l'acquis
La collaboration entre ces deux grands scientifiques est interrompue par la Seconde Guerre mondiale, Tinbergen étant interné très vite dans un camp d'otages allemand. En 1939, Lorenz est nommé professeur de psychologie à Königsberg, en Prusse orientale, à cause de son savoir dans le domaine, mais aussi de ses vastes connaissances en philosophie, en particulier de la pensée de Kant qui avait été professeur dans la même université. Il écrit un article sur Kant en 1941 (« Kants Lehre vom Apriorischen im Lichte gegenwärtiger Biologie »), la même année que sa fameuse étude sur la phylogenèse des Anatidés (« Vergleichende Bewegungstudien an Anatiden »). Il montre dans cette dernière, comme l'avait fait Heinroth avant lui, que l'on peut réaliser une taxinomie en utilisant les traits de comportement plutôt que des caractères morphologiques. Chez les canards, les actes instinctifs innés, effectués par les partenaires durant la parade nuptiale, sont suffisamment stéréotypés et reproduits à l'identique pour caractériser précisément une espèce et reconstruire la filiation entre les espèces au sein d'un groupe.
Cette période sombre de l'histoire l'est aussi pour Lorenz, qui avouera plus tard avoir cru à la nouvelle Allemagne (« I did, indeed, believe that some good might come of the new rulers », écrira-t-il dans son autobiographie adressée à l'Académie Nobel en 1973). À l'automne de 1941, Lorenz est incorporé dans l'armée comme psychiatre à l'hôpital de Posen. Au printemps de 1942, il est envoyé sur le front de l'Est. Fait prisonnier par les Soviétiques deux mois plus tard, il ne reviendra en Autriche qu'en 1948.
À partir de 1950, Lorenz est appointé par la Société Max Planck avec des installations confortables à Buldern, en Westphalie. En 1954, son unité est transférée à Seewiesen près de Starnberg, dans la banlieue de Munich, pour constituer avec l'équipe du neurophysiologiste Erich von Holst le Max-Planck Institut für Verhaltensphysiologie (physiologie du comportement). Il y restera jusqu'en 1973, date à laquelle il prend sa retraite et retourne en Autriche.
Sa collaboration avec von Holst, au sujet des activités instinctives chez les poules déclenchées par la stimulation électrique de régions précises du cerveau, permet à Lorenz de poser le concept de « mécanisme inné de déclenchement » en termes de structure nerveuse préconstruite activée par le déclencheur inné pour l'accomplissement des activités instinctives stéréotypées. Cela est complété par un modèle très controversé, une métaphore mécanique, qualifié de « psycho-hydraulique » ou de la « double quantification ». Il relie de manière quantitative la force du besoin, la qualité du signal déclencheur et l'intensité du comportement, rendant compte des effets de seuil et d'épuisement de la réponse instinctive ou des activités à vide décrites dans ses premiers travaux.
L'effort de généralisation de la théorie de l'instinct à tout ce qui porte cerveau conduit Lorenz en 1950 à publier un long texte provocateur : « Le tout et la partie dans la société animale et humaine. Un débat méthodologique » (« Ganzheit und Teil in der tierischen und menschlichen Gemeinschaft »), dans lequel il stigmatise, d'un côté, l'attitude des psychologues mécanistes, « réflexologues behavioristes américains » disciples de Pavlov, qui refusent de regarder les animaux dans leur milieu naturel, et, de l'autre, celle des vitalistes (dans la suite de von Uexküll), qui accordent une valeur magique aux comportements instinctifs, évitant d'en rechercher les causes. Les uns comme les autres négligent ainsi la prise en considération des actions instinctives innées chez l'homme. Par opposition, il qualifie d'objectiviste son approche de l'éthologie. La généralisation du[...]
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Écrit par
- Raymond CAMPAN : professeur honoraire à l'université Paul-Sabatier, Toulouse
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