KARYOTAKIS KÓSTAS (1896-1928)
Poète grec, auteur d'une des œuvres les plus singulières de son temps, Karyotakis a exercé une profonde influence sur les poètes majeurs, tels Séféris ou Ritsos, de la « génération de 1930 ». Après avoir mené une vie rangée de fonctionnaire durant une dizaine d'années, condition qu'il a stigmatisée dans plusieurs de ses poèmes, Karyotakis s'est donné la mort à l'âge de trente-trois ans, en laissant une œuvre brève et empreinte d'un pessimisme sans appel : Quelle volonté divine nous gouverne, / quel destin tragique tient le fil / des journées vides qu'à présent nous vivons / comme mûs par une ancienne et funeste habitude ? Pour beaucoup, ces accents désespérés ne font qu'exprimer l'impasse d'une génération qui a assisté, impuissante, à la ruine de ses idéaux et à la « catastrophe » d'Asie Mineure de 1921 ; mais c'est risquer de faire la part trop belle à un romantisme de mauvais aloi, celui-là même qui voudrait voir dans le suicide de Karyotakis l'aboutissement logique, ou la justification suprême, de son attitude poétique. Si, de ses premières manifestations littéraires (La Douleur de l'homme et des choses, 1919) jusqu'au titre de son dernier recueil — Élégies et satires (1928) —, Karyotakis semble avoir été partagé entre le sarcasme et le désespoir, comme entre le néant et l'infini, c'est que le mal, chez lui, a d'autres racines, un autre cadre que l'environnement historique : il vient de l'être même, ou plutôt de l'insatisfaction d'être : la pensée, les poèmes / poids superflu. C'est précisément dans cette distance du poète par rapport à son œuvre que résident l'originalité et la modernité de Karyotakis. On retrouve chez cet excellent traducteur des poètes parnassiens et symbolistes la fascination pour la mer de Baudelaire et la même « horreur de la vie » ; les tiraillement métaphysiques de Laforgue et l'évocation d'une nature urbaine proche de celle des Poèmes saturniens. Publiés après sa mort, ses derniers textes en prose semblent préfigurer parfois l'attitude d'un Michaux : « J'éprouve la réalité avec une douleur physique. » Mais, s'il fut l'un des premiers à importer dans son pays l'expression d'un « spleen » propre à la poésie occidentale, il n'en demeure pas moins constamment rivé, au-delà de son horizon personnel, à la réalité grecque. Allant contre le courant démoticiste institué depuis Solomos, il a su exprimer les deux en élaborant une langue personnelle, que ne rebutent ni les acrobaties ni les archaïsmes.
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Écrit par
- Gilles ORTLIEB : écrivain
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