KURDES
Langue et littérature
Les parlers kurdes
Lorsque, en 1787, le dominicain Maurizio Garzoni publiait à Rome, la première en Occident, sa Grammaticaevocabulariodella lingua kurda, il reconnaissait déjà que le kurde était une langue originale et apparentée au persan. Tout le monde admet, en effet, que le kurde fait partie de la grande famille iranienne, comme le persan moderne, bien qu'il s'en distingue très nettement par la phonologie, la morphologie et la syntaxe. Mais si certains orientalistes comme V. Minorsky (1938) rattachent le kurde au groupe nord-ouest des langues iraniennes et en expliquent l'unité par sa base médique, D. N. Mackenzie (1961) soutient qu'il appartiendrait au groupe iranien du Sud-Ouest.
Quoi qu'il en soit, le kurde d'aujourd'hui comporte deux dialectes principaux, dont l'aire d'expansion coïncide en gros avec les territoires occupés respectivement par l'Empire ottoman et celui du Chahinchah : le dialecte du Nord ou kurmandji, parlé par les Kurdes de Turquie, de Syrie, du nord de l'Irak et des pays du Caucase et le dialecte du sud ou soranî, utilisé par les Kurdes d'Iran et ceux de l'Irak de l'Est, le cours du Grand Zab délimitant les deux domaines. On a pu dire que chaque tribu et chaque vallée d'une centaine de villages a ses caractéristiques propres, à ne pas exagérer cependant. Aussi ne faut-il pas s'étonner que chacun de ces dialectes laisse place à des parlers locaux qui porteront souvent le nom de la province où ils ont cours. Ainsi, pour la Turquie, le botanî, systématisé par l'émir Celadet Bedir Khan. Au Caucase, les kurdologues soviétiques, très actifs, Q. K. Kurdoev, Ç. X. Bakaev, I. I. Tsukerman, ont publié des grammaires de la langue des Kurdes d'Érivan, de Turkménistan, d'Azerbaïdjan. Le badinanî, en Irak du Nord, a été étudié par M. Garzoni (1787), R. F. Jardine (1922), P. Beidar (1926) et, de façon scientifique, par D. N. Mackenzie (1961-1962). Le dialecte du Sud avec ses deux principaux parlers : le mukrî et celui plus souple de Sulaimanî, devenu officiel en Irak, a été spécialement étudié, d'abord par E. B. Soane (1913), E. N. McCarus (1958 et 1967) et encore par Mackenzie. Et naturellement par un bon nombre de Kurdes irakiens, à la tête desquels il faut citer Taufiq Wahby (1929-1930) et Nûrî Alî Emîn (1960).
On peut noter encore que les Kurdes du Dersim, de Diarbékir à Erzinjan, parlent le dumilî ou zaza, dialecte iranien, tandis que les Kakaï de Tauq en Irak utilisent le goranî, autre dialecte iranien, dans lequel ont été composés beaucoup de poèmes et d'écrits religieux des Ahl-e Haqq.
À ces divergences linguistiques s'ajoute une nouvelle complication. Bien que la graphie arabe ne convienne guère à une langue indo-européenne, les Kurdes d'Irak et d'Iran l'ont maintenue, tandis que les Kurdes de Turquie et de Syrie adoptaient un alphabet latin purement phonétique, ceux du pays du Caucase utilisant une écriture cyrillique.
Littérature orale et populaire
Au contraire des lettrés qui négligeaient souvent leur langue nationale, le peuple, analphabète, prenait son plaisir à écouter les conteurs (çîrokbêj) qui mettaient tout leur art et toute leur âme à raconter anecdotes ou récits satiriques, pleins d'humour, contes merveilleux, fables animalières, où toutes les bêtes de la création donnent aux hommes de salutaires leçons. De leur côté, les dengbêj, bardes itinérants ou au service des chefs de tribu, charmaient les soirées de leurs auditeurs en récitant, sur une mélodie monotone, d'interminables légendes où les aventures idylliques et héroïques de leurs personnages se déroulent souvent sur un fond de merveilleux, non dépourvu toujours de réalité historique, comme Mamê Alan ou Dimdim, et tant d'autres. Et on ne dit rien d'une foule de [...]
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Écrit par
- Thomas BOIS : chargé de conférences au Centre universitaire de langues orientales vivantes
- Hamit BOZARSLAN : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
- Christiane MORE : écrivain, journaliste
- Éric ROULEAU
: journaliste, chef du département Moyen-Orient et de la rubrique Proche-Orient au Journal
Le Monde
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