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VONNEGUT KURT (1922-2007)

Un humoriste noir

Vonnegut eut tout au long de sa carrière ses dévots et ses détracteurs. Pendant vingt ans, il passa pour un vulgaire auteur de science-fiction. Ce n'est qu'après la publication d'Abattoir-5 que la critique commença à le prendre au sérieux. On le compta alors parmi les « humoristes noirs » et, comme Joseph Heller, Terry Southern, John Barth, Donald Barthelme, Richard Brautigan et Thomas Pynchon, on le qualifia volontiers de « postmoderniste ».

Vonnegut partagea les refus et les révoltes des écrivains les plus novateurs de sa génération. Rompant avec les codes et les conventions du réalisme, ne se souciant ni de la psychologie de ses personnages ni de la vraisemblance et de la cohérence de ses récits, il se veut conteur comique dans la tradition populaire des tall tales et dans la mouvance de son maître, Mark Twain, avec un penchant marqué pour les histoires à dormir debout, les contes fantastiques et les grosses blagues, le tout assaisonné de ritournelles, d'aphorismes, de proverbes empruntés à la sagesse des nations et de cartoons à sa façon.

Par son sens de l'absurde, son goût de la dérision et sa pratique du burlesque, Vonnegut appartient bien à la tribu des humoristes noirs. Son humour est la politesse d'une mélancolie chronique, et sous la désinvolture du clown triste se cachent l'inquiétude d'un moraliste à la morale incertaine, et les colères d'un redoutable satiriste. Enfant de la Grande Dépression, libre penseur comme ses pères, Vonnegut fut jusqu'à la fin de sa vie un écrivain engagé à gauche. Dans ses essais, ses discours, ses entretiens comme dans ses romans, il ne cessa de batailler contre le pouvoir de l'argent, de fustiger les riches et de s'attendrir sur les pauvres. Pacifiste résolu depuis sa jeunesse, il dénonça inlassablement l'atrocité de toutes les guerres. Anticapitaliste et anti-impérialiste, il détesta l'Amérique des Bush comme celle de Nixon et de Reagan. Écologiste avant l'heure, il fut l'un des premiers à s'inquiéter de l'avenir de la planète.

Ses romans les plus réussis séduisent par une invention exubérante et malicieuse qui sait allier le fantastique au farfelu. Mais Vonnegut les conçut d'abord comme des fables douces-amères sur le cours du monde et la misère des hommes. Ses tics d'écriture peuvent agacer. Trop de pirouettes, trop de pitreries, un parti pris de simplicité trop constamment affiché et parfois une sentimentalité sermonneuse et des nostalgies populistes qui viennent tout droit du Middle West.

Il est improbable que la postérité retienne l'œuvre de Vonnegut comme une des œuvres majeures de son temps. Reste qu'il fut l'une des grandes pop stars de la littérature américaine de la seconde moitié du xxe siècle et, malgré ses faiblesses, un écrivain des plus singuliers.

— André BLEIKASTEN

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