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ABENCÉRAGE L'

C'est une courte nouvelle d'aventures galantes et chevaleresques. La meilleure version qui nous en soit parvenue parut sous le titre de El Abencerraje dans un ouvrage de miscellanées littéraires, El Inventario (Medina del Campo, 1565, sous le nom d'Antonio de Villegas). Ce roman pastoral, qui connut partout un grand succès, répandit en Europe l'histoire de l'Abencérage. Avec les Guerres civiles de Grenade (1595-1619), par Pérez de Hita, et Guzmán de Alfarache (Ozmin et Daraja, 1599), par Mateo Alemán, l'Abencérage est à l'origine de la vogue des nouvelles dites morisques en Angleterre et en France (Chateaubriand, Les Aventures du dernier Abencérage).

La belle version de l'Inventario se réfère à une histoire du « temps de l'infant don Fernando qui prit Antequera ». La Partie de la chronique de l'illustre don Fernando qui prit Antequera, publiée au moins deux fois, la seconde en 1561, offre une version plus grossière de la nouvelle ; elle se réfère à une source manuscrite, « confuse, défectueuse, insipide, peu soignée », qu'elle aurait améliorée. Mais le grand écrivain (peut-être Villegas lui-même) à qui nous devons la version insérée dans l'Inventario fait preuve d'une vaste culture littéraire et d'une bonne information philosophique. Il construit sa nouvelle comme on le fait depuis Boccace : prologue, unité d'action, présentation des personnages et description de leurs vêtements, évocation d'événements antérieurs, dialogues et épîtres pleins d'artifice, dénouement. Bref, le récit, qui est du domaine de la fiction, emprunte ses ornements à d'autres genres littéraires ; il recourt à la pitié que le lecteur doit éprouver pour les personnages, à leur admiration, et, par le moyen de la suspensión de ánima, à leur crainte ou frayeur quant à l'issue de l'intrigue.

Le thème est une illustration exemplaire du comportement modèle de nobles personnages placés dans une certaine circonstance critique. L'auteur prête aux protagonistes des masques et des noms musulmans ou chrétiens, tout comme d'autres romanciers, ses contemporains, attribuaient aux leurs des pelisses et des noms rustiques de bergers. La réalité est bannie. Ainsi, rien dans la conduite des personnages n'implique des sentiments ou des manières de penser liés à leur religion respective. La fiction, toutefois, s'accroche à une situation historico-géographique certaine, la frontière entre le royaume de Castille et le royaume de Grenade vers 1484-1485.

L'histoire est la suivante : Rodrigo de Narváez, commandant la place de Alora, s'empare d'un vaillant chevalier maure. Le captif semble désespéré. Pris de pitié, le capitaine chrétien l'interroge. Alors, le Maure raconte sa vie. Il appartient à une famille, les Abencérages, persécutée par le roi de Grenade. Élevé en exil par le gouverneur de Cartama, il s'est épris de Jarifa, la fille de son hôte, qu'il avait longtemps tenue pour sa sœur. La belle Jarifa répond à son amour pur. Mais, séparée de lui, elle décide de lui donner un rendez-vous pour conclure leur mariage secret et le consommer. Et c'est en route vers son bonheur que l'amant malchanceux est tombé aux mains des chrétiens. Ému, le capitaine lui rend sa liberté contre la promesse de son retour dans les trois jours. Abindarráez passe donc la nuit auprès de sa belle. Elle lui offre de dérober les trésors de son père pour payer sa rançon. Comme le galant est aussi un homme d'honneur, il refuse et veut se livrer à son vainqueur. Jarifa alors l'accompagne. Touché par tant de gentillesse, Rodrigo de Narváez intervient auprès du roi de Grenade, qui l'estime, pour qu'il obtienne du père de Jarifa le pardon des amants. Ayant obtenu cette grâce, il accorde la liberté au captif. Celui-ci lui envoie cependant une rançon. Le Castillan la refuse dans une lettre courtoise et très délicate à la belle[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris, directeur de l'Institut d'études hispaniques de l'université de Paris

Classification

Autres références

  • MORISQUE LITTÉRATURE

    • Écrit par
    • 268 mots

    Les fastes des Arabes résidant en Espagne attirèrent dès le Moyen Âge l'attention et l'admiration des chrétiens de la Péninsule, qui imitèrent les usages et les costumes des Maures. Déjà le premier grand prosateur castillan, don Juan Manuel, montre, au xive siècle, sa connaissance...