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L'ACTION RESTREINTE. L'ART MODERNE SELON MALLARMÉ (exposition)

L'art de l'âge moderne avait fini par être écrasé sous sa propre vulgate. L'expositionL'Action restreinte. L'art moderne selon Mallarmé, au musée des Beaux-Arts de Nantes du 9 avril au 3 juillet 2005 (catalogue de Jean-François Chevrier, Musée des Beaux-Arts de Nantes-Hazan, Paris), après le MACBA, musée d'Art contemporain de Barcelone, aura constitué une étape décisive du renouvellement de notre vision.

Le projet moderne, tel qu'il se dessine à partir des années 1850 et notamment de Manet, a fait l'objet de deux sortes de récit. L'un, partant du milieu du xixe siècle, parle de l'autonomie d'un art qui se referme sur lui-même pour accomplir les révolutions formelles majeures que nous admirons au musée. L'autre prend un point de départ plus rapproché, dans les années 1910, et se concentre sur le couplage des révolutions artistiques et politiques. Il décrit un projet de changement de la vie par la projection en elle d'une utopie radicale qui visait à produire aussi bien des relations sociales inédites qu'un cadre physique nouveau où les inscrire grâce à l'architecture et au design. Bref, l'art moderne, c'est soit l'utopie en elle-même et pour elle-même, soit sa réalisation sociale et politique. Là-dessus, au gré des changements historiques, on a brodé des variantes, en particulier la reconstruction américaine du modernisme comme aventure formelle se substituant à une utopie sociale impossible.

L'histoire de l'art est le royaume des fictions, pour ne pas dire des falsifications : il suffit de bien choisir les artistes dont on parlera. On y construit des filiations d'autant plus cohérentes qu'on exclut au même moment ce qui pourrait les infirmer. Depuis les années 1960-1970, avec le néo-dadaïsme, puis avec tout l'art de « l'objet quelconque », Duchamp et Dada ont ainsi été progressivement réintégrés dans une généalogie du moderne dont ils avaient été largement bannis.

Dans l'exposition de Jean-François Chevrier, c'est à partir de Mallarmé que toute une tradition de la poésie, de la lettre et du livre est à nouveau prise en compte, au point qu'il en ressort une histoire entièrement différente. Ce qui y est montré, c'est que les relations de l'art et de l'utopie ne s'établirent nullement sur le mode du tout (de la réalisation de l'utopie) ou rien (du retrait de l'art sur lui-même). Il y avait place aussi pour « L'Action restreinte », titre d'un article hermétique et fascinant de Mallarmé (dans Divagations, 1897) qui a inspiré ce projet.

Dans les années 1970-1980, des philosophes italiens comme Giovanni Vattimo ont introduit l'idée d'une « pensée faible », comme conscience des pouvoirs limités de la pensée. L'idée de Mallarmé était un peu du même ordre : l'art n'est ni tout-puissant ni impuissant, il ne peut qu'exercer une action restreinte, qui passe par le travail sur les signes. Ce dernier ne correspond pas à la réalisation miraculeuse de ce qui est dit. Il change le monde en instaurant de nouvelles relations au sein des signes.

À partir de cette idée précieuse, qui induit d'ailleurs une relecture de Mallarmé, en rappelant qu'il appartient au symbolisme plutôt qu'à l'art pour l'art, c'est tout un nouveau parcours de l'art moderne qui est requis. Passe d'abord au premier plan la lettre, le calligramme, le graphisme, la relation de l'art moderne au langage et à sa dissémination. De superbes exemples de Picasso, Apollinaire, des poètes russes des années 1920, de Duchamp, Picabia, Miró étaient exposés, puis d'autres de Michaux, Wols, Fautrier, Artaud, Broodthaers.

Était aussi montrée la force persistante du symbolisme, partant de Redon pour aller jusqu'à Philip Guston[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Rouen, membre de l'Institut universitaire de France

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