L'ADOLESCENCE CLÉMENTINE, Clément Marot Fiche de lecture
Une langue familière
« L'art poétique de Marot s'apparente au départ à l'art de la conversation », a observé Frank Lestringant, l'un des meilleurs commentateurs du poète. Sa langue est celle de tout le monde, « et c'est en faisant montre d'une parfaite dextérité dans l'usage des tournures communes qu'il obtient les effets les plus inattendus et les plus belles réussites de sa poésie personnelle ». Cette langue familière dit des choses parfois gaies, souvent amères ou douloureuses, mais sans jamais aucun effet de pédanterie : « En m'esbatant je fais rondeaux en rime,/ Et en rimant bien souvent je m'enrime :/ Brief, c'est pitié d'entre nous rimailleurs,/ Car vous trouvez assez de rime ailleurs,/ Et quand vous plaist, mieulx que moy rimassez » (Petite Epistre au Roy).
Clément Marot, à côté des « élégants badinages » qui charmeront Boileau, a été un poète de l'inquiétude. Chez lui, l'inspiration religieuse est essentielle et exprime les contradictions d'un homme partagé entre le goût des joies terrestres et la rigueur de l'exigence spirituelle. « Fortune demène » les inconstances du sort, lit-on dans le Rondeau parfait de L'Adolescence clémentine, qui se termine par ces mots : « C'est bien et mal. Dieu soit de tout loué. » Frank Lestringant résume bien ce double aspect du poète en décelant dans sa traduction de La Première Églogue de Virgile, au début de L'Adolescence clémentine, « une sorte d'autoportrait en partie double », où Marot emprunte les deux visages de Tityre, le berger comblé par la faveur des dieux, et de Mélibée, l'exilé persécuté. Du côté de Tityre, ce sont les pièces légères ou graves, mais apaisées, comme le Temple de Cupidon, les ballades qui célèbrent les grands moments du règne, les rondeaux plaisants, plusieurs pièces amoureuses, certaines épîtres qui laissent apercevoir le poète apprécié des puissants et aimé de ses proches ; du côté de Mélibée, jusque dans des poèmes de ton quelquefois railleur, c'est l'homme fragile à la merci du sort et tiré de justesse des griffes du malheur : ainsi de l'Épître à Lyon Jamet composée par l'imprudent enfermé pour avoir mangé le lard en carême, ainsi de l'Épître au roi pour le délivrer de prison lorsque Marot s'est fait arrêter pour avoir commis le crime de « rescousse ». L'histoire, ici et là, finira bien, et « Mélibée », cette fois, s'en sortira. Mais la fortune cessera un jour de lui sourire. Il mourra en exil.
Marot eut beaucoup d'admirateurs et d'imitateurs, mais il n'eut pas vraiment de disciples. Il ne créa pas d'école, peut-être parce qu'il était inimitable. Au xxe siècle, cependant, des écrivains tels que Paul-Jean Toulet (Les Contrerimes, 1921) ou Raymond Queneau (Exercices de style, 1947) sauront, dans la lignée de Marot, concilier contraintes formelles et création verbale.
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Écrit par
- Yvonne BELLENGER : professeur émérite à l'université de Reims
Classification
Autres références
-
FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.
- Écrit par Frank LESTRINGANT
- 6 760 mots
- 3 médias
En 1532, L’Adolescence clémentine de Clément Marot (1496-1544) prononce un joyeux adieu aux formes traditionnelles, cependant que d‘autres, plus libres prennent la relève, telles que l’épître – avec sa variante Du coq à l’âne –, l’épitaphe et la complainte. L’Enfer est une...