L'ÂGE D'HOMME, Michel Leiris Fiche de lecture
Renouvellement du genre autobiographique
La psychanalyse entreprise par Michel Leiris avec Adrien Borel à la fin de 1929 a sans doute contribué à libérer son écriture. Il s'est senti autorisé à suivre son inclination pour la confession, déjà sensible dans les textes liés au mouvement surréaliste. Il a éprouvé la nécessité de « rassembler les vestiges de la métaphysique de son enfance ». Secrétaire de rédaction de la revue Documents, il a découvert dans le cadre de son travail deux tableaux de Cranach, Lucrèce et Judith, images particulièrement frappantes de l'opposition entre « la femme qui tue et la femme qui se tue », entre la terreur et la pitié, symboles de la dualité qui gouverne ses émotions sexuelles. Il a élaboré en 1930 un premier texte Lucrèce, Judith et Holopherne, souvenirs destinés à une collection de livres érotiques dirigée par Georges Bataille et qui ne paraîtra jamais. La publication de L'Afrique fantôme en 1934 marque une nouvelle étape dans la revendication d'une écriture à la première personne qui ne cache rien : dans ce journal de bord, Leiris relate sa participation à la mission Dakar-Djibouti destinée à rassembler objets et documents pour le futur musée de l'Homme, et expérimente comment la subjectivité permet d'atteindre à l'objectivité exigée de l'ethnographe.
En 1939, L'Âge d'homme constitue un pas décisif vers cette vérité autobiographique. Le prière d'insérer rédigé par Michel Leiris décrit son entreprise comme une catharsis : il envisage l'écriture comme un acte qui libère des passions par la confession. Il pose en principe la nécessité de tout dire et ainsi « d'introduire ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une œuvre littéraire ». La corrida, pour Michel Leiris, est un rituel sacrificiel et un spectacle total où le tragique de la vie et de la mort se trouve directement mis en jeu dans l'arène. La Préface définitive à L'Âge d'homme, rédigée pour la réédition de 1946 et intitulée « De la littérature considérée comme une tauromachie », montre comment ce livre, contemporain de La Nausée de Jean-Paul Sartre (1938), est profondément ancré dans son époque : pour Michel Leiris, la littérature « engagée » importe moins « qu'une littérature dans laquelle [l'écrivain s'engage] tout entier ». L'écriture à la première personne, obéissant aux règles d'une « véracité rigoureuse », où l'écrivain s'expose, est un moyen de « peser... dans le sens de l'affranchissement de tous les hommes ».
Au-delà de son auteur, L'Âge d'homme est considéré comme le livre fondateur de l'autobiographie contemporaine, genre dont le développement est une des caractéristiques de notre époque. L'Âge d'homme a renouvelé le mode d'écriture à la première personne, visant à se dépeindre comme un élément de l'humanité, à retrouver le fil de sa propre histoire dans un souci constant de vérité mais sans nier la puissance de la subjectivité. La cohérence de ce projet d'ordre « psychologique et esthétique » en fait un incontournable modèle.
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Écrit par
- Aliette ARMEL : romancière et critique littéraire
Classification
Média
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