L'ÂGE D'OR DU ROMANTISME ALLEMAND (exposition)
Le musée de la Vie romantique (Paris) a consacré du 4 mars au 15 juin 2008 une exposition à L'Âge d'or du romantisme allemand, aquarelles et dessins à l'époque de Goethe. Dans sa Préface au catalogue, Pierre Rosenberg avoue préférer le sous-titre : Aquarelles et dessin à l'époque de Goethe. C'est là une conception bien française. Le romantisme allemand inquiète. A-t-il consommé la rupture avec les Anciens et rendu celle-ci irréversible ? A-t-il créé un « mythe pour notre temps » qui n'aurait cessé d'aveugler l'Europe et engagé son destin sur une voie aventureuse ? On comprend que le patronage de la figure olympienne de Goethe soit rassurant : le poète de Weimar avait trouvé bien avant les surréalistes le point où le passé et l'avenir, l'Orient et l'Occident se confondent, mais on se demandera si cette puissance tutélaire n'a pas plutôt écrasé de son soleil de midi ce qu'avait d'original le romantisme allemand, et tout particulièrement le premier romantisme allemand, celui d'Iéna, qu'on s'accorde à faire débuter en 1798 et à voir s'achever en 1806. Ce sont peut-être en effet les ombres délicates et cette atmosphère de nocturne en plein jour du romantisme allemand, que la lumière zénithale écrase, qui font tout l'intérêt de cet art contemporain d'une époque qui vacille.
Sans qu'il faille y voir un parallélisme rigide, il n'est peut-être pas arbitraire de mettre en regard de ce romantique-là deux préoccupations originales de la philosophie allemande : la question des puissances et celle du concept. Les couleurs formeraient ainsi une échelle des puissances, tandis que le dessin fournirait les linéaments du concept. Et l'aquarelle serait le schème qui ferait le lien entre monde sensible et concept.
À cela s'ajoute que cet art qui passe volontiers pour l'expression plastique d'une douce mystique est souvent un art politique et même politisé. En témoigne La Grande Misère de la patrie (1809) de Philipp Otto Runge qui nous montre une Germania pieds nus portant un enfant nu sur ses épaules, poussant le soc d'une charrue tirée par un angelot pour labourer la terre où repose la patrie morte, ce défunt Saint Empire romain germanique dont Napoléon Ier a dressé en 1806 l'acte de dissolution. Et c'est aux confins de l'extrême mélancolie que se situe Chouette au bord d'une tombe, un dessin exécuté par Caspar David Friedrich vers 1834-1837. Politique, cette souffrance de l'artiste ? Oui, elle n'est que le versant individuel d'une catastrophe collective qu'avait figurée le plus connu des tableaux de Friedrich, La Mer de glace, refermée sur le navire Hoffnung (« espoir »), l'espoir défunt étant celui de la Révolution française et le désespoir sans fin celui de l'« exportation » brutale et militaire de l'esprit de 1789 par Napoléon Ier suivie par le rétablissement du pouvoir des princes dans l'Europe de Metternich.
Il est intéressant de mettre le dessin romantique en perspective dans l'histoire du dessin allemand : on y retrouve cette continuité du « trait » incisif, coupant, chirurgical, qui trouve son paradigme chez Dürer. Sans doute faut-il être plus nuancé et distinguer entre le trait mort des Nazaréens – des romantiques néo-classiques pourrait-on dire en usant d'une contradiction dans les termes –, celui de Johann Friedrich Overbeck, Italia et Germania (1815-1828), et le trait d'un Georg Friedrich Kersting, Caspar David Friedrich en randonnée dans le Riesengebirge (1810), animé d'une délicate et imperceptible vibration. Portant un cartable d'écolier au bout de sa canne posée sur l'épaule, le peintre est ici vu de dos ironique et amicale allusion à la prédilection de Friedrich pour les personnages ainsi figés. Procédant de cette[...]
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Écrit par
- Jean-François POIRIER : écrivain et historien d'art
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