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L'ÂGE D'OR, film de Luis Buñuel

Les orages immobiles

L'Âge d'or est célèbre pour la violence qui l'accueillit. Les amis des Noailles leur battent froid ; des membres de ligues d'extrême droite maculent l'écran du cinéma où il est projeté ; la censure exige la suppression des « deux passages d'évêques », pour finalement déclarer le film interdit. Il le restera jusqu'à une projection au festival de Cannes et à la télévision française, en 1982.

Le plus étonnant n'est pas l'interminable censure d'un film devenu, entre-temps, un classique, c'est que sa force de subversion, en dépit des excès en tout genre qu'a depuis lors connus le cinéma, soit demeurée intacte. Simplement, si le film nous violente autant qu'en 1930, c'est moins par le caractère osé de ce qu'il montre, dit ou suggère que par le caractère intolérablement libre de son récit et de ses enchaînements d'images. Le couple qui fait l'amour dans la boue a notre sympathie ; nous tiquons peut-être devant l'image de la femme assise sur les toilettes, mais nous en avons vu d'autres ; quant au comportement de Modot lors de la réception, il n'est guère plus goujat que celui d'un Groucho Marx, et nous semble moins scandaleux que burlesque. En revanche, les atteintes à l'idéal d'un récit cohérent et limpide restent sidérantes. Le monde impossible décrit par les intertitres est amusant, mais l'hétérogénéité des images est irréductible, d'autant que, à la différence d'Un chien andalou, le film se présente comme un récit suivi. C'est précisément parce qu'il flirte avec la structure aristotélicienne du récit (comme, plus tard, Buñuel flirtera avec un style volontairement plat) que le film demeure la plus convaincante des manifestations de l'idéal surréaliste du « tout est possible à tout instant ».

Le titre sans doute est à prendre à la lettre, et nous sommes conviés à voir cela comme la proposition d'un « âge d'or ». Mais comment l'entendre ? Comme l'âge de l'émancipation des lois et des mœurs ? Comme la nostalgie d'une innocence perdue ? À l'instar de ce titre, le film entier appelle les interprétations (les psychanalystes ont décliné à son sujet tous les modes de la régression sexuelle), mais les récuse ou les met en doute aussitôt. L'amour est-il vainqueur ou, au contraire, irrémédiablement vaincu ? L'art est-il un moyen de liberté, ou l'arme la plus perverse de la bourgeoisie ? Toute « moralité » du film est d'avance contestée par le film même. De même qu'il avait trouvé d'emblée l'idée de l'art qui le poursuivrait toute sa vie, avec l'idéal surréaliste, Buñuel a pressenti dans ce film ce qu'il parachèvera, magistralement et ironiquement, dans ses magnifiques derniers films : le mystère limpide, la transparence opaque, la naïveté retorse.

— Jacques AUMONT

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

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