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L'ÂGE DES CASERNES (Michel Auvray) Fiche de lecture

« La conscription est bel et bien morte, prête à être rangée au musée militaire, aux côtés de l'arbalète, du sabre ou de l'ost féodal. » Par ces mots, Michel Auvray prend acte de la décision radicale annoncée par Jacques Chirac le 22 février 1996, programmant la suspension du service national. Dans son ouvrage L'Âge des casernes. Histoire et mythes du service militaire, publié aux éditions de l'Aube en 1999, il entend passer en revue les fonctions et perceptions attribuées au fil du temps à l'institution de l'obligation militaire, pour comprendre la spécificité française en ce domaine et en particulier l'attachement anachronique que lui a porté la classe politique longtemps après le début de l'ère nucléaire.

Partant des convictions et des représentations largement répandues, forgées au cours des siècles, Michel Auvray scrute au regard de l'histoire les illusions et les mythes qui entourent le service militaire. C'est en partie pour mieux souligner la distance quasi permanente entre les principes revendiqués et l'application qui en est faite. Ainsi, l'idéal du soldat-citoyen antique doit-il être nuancé par le rappel du recours aux esclaves lors de la guerre du Péloponnèse, quand le besoin de rameurs devint urgent pour la flotte athénienne. Pour la France contemporaine, le mythe constitutif n'en demeure pas moins celui de la nation en armes à Valmy en 1792. Depuis lors, tous les régimes lieront la conscription à la victoire du peuple en armes pour défendre ses libertés, et même abusivement à la défense de la République, qui n'est pourtant proclamée que le lendemain de la bataille, le 21 septembre.

Ce dense examen critique des étapes parcourues entre l'époque révolutionnaire et 1905, date de l'universalisation achevée du service militaire, fait ressortir des éléments souvent négligés. C'est par exemple l'importance du modèle prussien, mis en place par Bismarck, validé à Sadowa en 1866 et à Sedan en 1870, qui sera ensuite copié par les vaincus. C'est aussi l'avènement des armées de masse, accompagnant l'industrialisation et les progrès des communications. Pour Michel Auvray, c'est l'ère de la chair à canon et des massacres généralisés, où les peuples représentent, depuis Napoléon, de véritables réservoirs à soldats. Les quantités sont vertigineuses : ce sont ainsi 12 millions d'hommes qui se trouvent mobilisés en 1914. Autre aspect lié à la conscription, la militarisation des peuples atteint son paroxysme avec les régimes totalitaires du xxe siècle.

Comment expliquer alors la place privilégiée conservée très longtemps par la conscription dans le cœur des Français ? Si les résistances sont nombreuses durant toute la première partie du xixe siècle, c'est avant tout parce que le service militaire, fondé sur le tirage au sort avec possibilités de remplacement puis d'exonération, est particulièrement inégalitaire. La IIIe République rétablit en 1872, par l'imposition personnelle et universelle de l'obligation militaire, le sentiment d'une institution équitable. La caserne est aussi considérée comme le lieu du brassage géographique et social, le lieu de l'apprentissage de la discipline, et aussi de la modernité à l'époque d'une France très majoritairement rurale. Le mythe de la caserne éducatrice perdure, malgré l'expérience plus souvent tissée d'ennui et de passivité, quand ce n'est celle des maladies liées au manque d'hygiène ou des beuveries. Enfin le passage « sous les drapeaux » est considéré comme un véritable rite d'intégration sociale et civique. C'est après le service que l'on se met au travail, que l'on se marie et que l'on participe à la vie politique. Assez largement acceptée, devenue plus familière par l'intermédiaire d'un comique troupier très répandu, l'obligation de la conscription et[...]

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Écrit par

  • : professeure agrégée d'histoire, chargée d'études au CEHD (Centre d'études d'histoire de la Défense)