L'ÂGE DES EXTRÊMES. HISTOIRE DU COURT XXe SIÈCLE (E. Hobsbawm)
L'Âge des extrêmes (Complexe-Le Monde diplomatique, 1999) constitue le quatrième et dernier tome d'un ensemble d'ouvrages qui ont analysé le destin des sociétés depuis la fin du xviiie siècle. Le premier tome, L'Ère des révolutions, traite de la transformation du monde entre 1789 et 1848, issue à la fois de la Révolution française, politique essentiellement, et de la révolution industrielle, née en Angleterre. Le deuxième tome, L'Ère du capital, 1848-1875, analyse le triomphe du libéralisme qui semblait devoir s'étendre toujours davantage, tandis que la bourgeoisie, sa classe représentative, paraissait avoir acquis une maîtrise durable du cours des choses. Mais sa situation se trouve minée de l'intérieur par les transformations du système qu'elle a instauré et ses valeurs morales connaissent une crise qui annonce la fin d'un monde. C'est l'objet du tome III, L'Ère des empires, 1875-1914, Fayard. À ce long xixe siècle fait suite ainsi ce « court » xxe siècle, L'Âge des extrêmes.
Défini quelquefois comme un « historien marxiste anglais », Eric J. Hobsbawm se situe bien comme tel par son approche, le développement économique et le rôle des classes sociales se trouvant aux fondements de son analyse globale et en déterminant la trame. Mais le présenter seulement ainsi ne rend pas compte du caractère innovateur et hétérodoxe de ses curiosités et de sa manière. Il était apparu au firmament des historiens en 1959, lors de la parution de son livre Primitive Rebels (Les Primitifs de la révolte, trad. 1966). À une époque où triomphait l'histoire quantitative et où l'étude du mouvement ouvrier constituait une sorte de passage obligé, il avait publié une œuvre rafraîchissante, sur une thématique créée par lui : la typologie des révoltes archaïques, de Cartouche à la mafia, en passant par les sectes anglaises et les paysans anarchistes andalous. Son principe d'ordre y était le degré d'organisation, lequel fut repris dans son ouvrage sur le nationalisme, où il mettait en lumière un mouvement à partir du proto-nationalisme jusqu'à ses formes les plus exaspérées.
L'Âge des extrêmes puise à ces différentes approches et présente le siècle sous la forme d'une analyse plutôt que d'un récit. Il est néanmoins divisé en trois périodes chronologiques : l'ère des catastrophes, qui s'achève avec la fin des empires ; l'âge d'or, qui correspond à l'avant et à l'après révolution culturelle des années 1960 ; la débâcle enfin, que traduisent la fin du socialisme, l'échec du Tiers Monde et la crise qui signale l'irruption d'un monde nouveau.
L'intérêt de l'ouvrage est d'avoir intégré tous les phénomènes, économiques, politiques et culturels en une analyse systématique, cohérente et maîtrisée. Il existe peu de précédents d'une telle capacité à synthétiser un tel ensemble de perspectives : Fernand Braudel, pour Civilisation et Capitalisme. XVe-XVIIIe siècles (Armand Colin, 1967-1979), Immanuel Wallerstein, pour The Modern World System, Academic Press, 1974-1989, 3 vol. Tous trois font de l'économie le moteur des transformations sociales ou politiques, mais E. J. Hobsbawm moins que ces autres grands historiens. Surtout, il procède autrement, et spécialement dans L'Âge des extrêmes, qui est contemporain par sa substance des événements qu'il a vécus et qu'il a accompagnés d'une espérance et d'un jugement que l'Histoire a démentis. Aussi s'y pose-t-il des questions, et ce livre essaie d'y répondre, ce qui anime une écriture assez dense. Par exemple, il se demande pourquoi l'économie capitaliste a fait faillite durant l'entre-deux-guerres et comment on peut rendre compte de son succès après 1945. S'interrogeant sur l'échec des régimes parlementaires avant 1939, il[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marc FERRO : docteur en histoire, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, codirecteur des Annales
Classification