L'AGENT SECRET, Joseph Conrad Fiche de lecture
L'Agent secret (1907) occupe, parmi les œuvres de Joseph Conrad (1857-1924), romancier anglais né en Pologne, peintre de la mer et des ports orientaux, une place originale. Il s'agit là d'un roman politique, comme les deux titres qui l'encadrent, Nostromo (1904) et Sous les yeux de l'Occident (1911). Plus insolite dans l'œuvre romanesque de Conrad est son cadre géographique et humain, puisqu'on a affaire à son unique roman londonien. Avec L'Agent secret, il saisit l'occasion de montrer avec éclat qu'il avait de la capitale du Royaume-Uni une connaissance intime. Et voilà que de cette grande et noble ville il choisit de peindre le côté sordide, voire abject. Le Londres de Conrad est un foyer d'anarchistes, qui sont presque tous des êtres dont la médiocrité semble déteindre sur les milieux plus huppés où le romancier conduit son lecteur : une ambassade, le salon d'une grande dame, le bureau d'un ministre, la haute administration de la police.
Une ténébreuse affaire
Le fait central de l'histoire est un attentat commis contre l'observatoire de Greenwich. Pour l'amorce de son récit, Conrad s'est fortement inspiré d'un événement réel : un attentat avait bien eu lieu à cet endroit le 15 février 1894, avec les mêmes conséquences que dans le roman : absence totale de dégâts significatifs, mais mort du porteur de la bombe artisanale qui aurait dû faire trembler tout l'Occident. À partir de là, le romancier a fait jouer abondamment son imagination et son art.
Dans un premier temps, le lecteur fait connaissance avec les quatre habitants d'une petite maison de Brett Street, artère imaginaire mais typique : une boutique louche que prolonge un logement. Le commerce est tenu par Adolf Verloc et lui sert de paravent ; il est en effet au service d'une ambassade étrangère et d'une association anarchiste. Il fait vivre à son foyer son épouse Winnie, sa belle-mère âgée et impotente, et son jeune beau-frère Stevie, arriéré mental. Pressé par l'ambassade de susciter une action anarchiste spectaculaire, Verloc finit par confier à Stevie la bombe destinée à endommager l'observatoire ; elle explose quand le jeune homme trébuche dans le parc, et déchiquette son corps. Lorsque Winnie apprend ce qui s'est passé, elle s'estime dégagée de toute obligation envers son mari. Scandalisée par son absence de remords, elle s'approche de lui en tenant à la main un couteau à découper : « M. Verloc n'en vit rien. Il était couché sur le dos et regardait en l'air. Il vit, en partie sur le plafond et en partie sur le mur, l'ombre en mouvement d'un bras terminé par une main serrée qui étreignait un couteau à découper. Cette ombre montait et descendait par intermittence. Ses mouvements n'étaient pas précipités. Ils n'étaient pas assez précipités pour empêcher M. Verloc de reconnaître le bras et l'arme. [...] Ils n'étaient pas assez précipités pour empêcher M. Verloc d'élaborer un plan de défense consistant à bondir derrière la table et à jeter cette femme à terre au moyen d'une lourde chaise de bois. Mais ils furent assez précipités pour ne pas laisser à M. Verloc le temps de remuer bras ou jambe. Il avait déjà le couteau planté dans la poitrine. La lame n'avait rencontré aucune résistance en chemin. »
Après la mort de Verloc, Winnie tente de fuir en compagnie d'un autre anarchiste, qui n'en veut qu'à son argent et l'abandonne ; elle finit par se donner la mort. Des quatre membres du foyer Verloc, seule la belle-mère survit au désastre.
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Écrit par
- Sylvère MONOD : professeur émérite de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média