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L'AGRAFE (M. Desbiolles) Fiche de lecture

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L’Agrafe est un roman de l’écrivaine française Maryline Desbiolles, publié en 2024 (Sabine Wespieser éd.).

L’Italie, la Savoie, l’arrière-pays niçois. Primo (2005), La Scène (2010), Le Neveu d’Anchise (2021). Trois lieux et trois titres pourraient résumer l’œuvre de Maryline Desbiolles. On ajoutera l’attrait pour les arts plastiques (Les Draps du peintre, 2008 ; Avec Rodin, 2017) ou pour certaines figures emblématiques comme le compositeur Maurice Jaubert (Le Beau Temps, 2015). Son regard à la fois attentif, lucide et nuancé se porte sur la société dans sa diversité avec C’est pourtant pas la guerre, 10 voix + 1 (2007), enquête dans le quartier niçois de l’Ariane, ou Charbons ardents (2022) autour de la Marche pour l’égalité de 1983.

La course interrompue

« On ne voit qu’elle » : c’est la première phrase de L’Agrafe et elle introduit, dans le paysage de l’arrière-pays niçois, le personnage d’Emma Fulconis. Elle court sans cesse et c’est ainsi qu’on la reconnaît. Courir « absolument », sans aucun souci de la performance, est une des activités qui distinguent les personnages de Maryline Desbiolles.

« On », c’est aussi « nous », une sorte de chœur – celui des villageois racontant cette histoire, pour qui « il faut s’en tenir aux bribes, manques, mots écorchés ». Ce sont les habitants de l’Escarène, village où Emma habite, auprès d’un père mécanicien auto passionné de rallye et d’une mère qui l’accompagne dans les courses sans y tenir plus que cela.

Comme toujours dans l’œuvre de Maryline Desbiolles, les mots revêtent divers sens, des vies souterraines, et le prénom d’Emma contraste avec ce nom de Fulconis qui l’ancre très précisément dans le paysage. La géographie fait les personnages. Dans Il n’y aura pas de sang versé (2023), déjà, les cinq héroïnes se passaient le relais, en une course anachronique, pour mener une grève dans une soierie lyonnaise, en 1868. L’une d’elles, Toia, venait des collines piémontaises et sa course traduisait une impatience à s’affranchir, à vivre, que l’on retrouve dans le personnage d’Emma. De manière significative, à la fin de L’Agrafe, Emma quittera sa terre natale pour aller à Lyon.

Entre-temps, la course de la jeune fille s’est interrompue… Un jour qu’elle se rendait chez son ami Stéphane, un chien l’a attaquée, celui de Patrick Goiran, le père de cet ami avec qui elle partage ses goûts musicaux. Sa jambe est atteinte à l’agrafe, le nom que l’on donne désormais au péroné. L’explication du père Goiran est laconique et violente : « Mon chien n’aime pas les Arabes. » Dès lors, plus que de la morsure et de l’impossibilité de courir qu’elle provoque, c’est de cette phrase que souffre la jeune fille. Il lui faudra comprendre.

Comprendre est aussi ce qui suscite l’écriture de la romancière. À l’image de son personnage, Maryline Desbiolles éprouve une forme d’impatience et se met en mouvement. L’écriture court, même si une telle activité exige de la lenteur, de la méticulosité, et cela se sent d’emblée dans les descriptions d’Emma passant de colline en colline, dans la lumière si vive de ce Sud-là. La phrase est souvent longue, comme un travelling ou un panoramique. On en sait très peu sur la jeune fille qui est d’abord élan, silhouette « vif-argent ». Le choc de la morsure et celui causé par les mots du père Goiran vont tout changer.

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