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L'AMIE PRODIGIEUSE (dir. S. Costanzo)

L'amicageniale, MyBrilliantFriend, L’Amie prodigieuse… Quelle que soit la langue employée, l’amitié dont il est question exprime l’admiration tout en laissant percer une pointe de jalousie. C’est une amitié fiévreuse, dévorante, faite de vénération et de convoitise, entre deux femmes que lie une fascination réciproque et qui se transmettent leurs émois plus qu’elles ne les partagent. La traduction en anglais comme en français n’a en rien dilué la verve douce-amère d’Elena Ferrante, dont la tétralogie éponyme à succès est adaptée en série télévisée depuis 2018 par Rai et TIMvision en Italie, en coproduction avec la chaîne américaine HBO. À l’image de George R. R. Martin suivant de près l’adaptation télévisuelle de Game of Thrones, Elena Ferrante veille au bon respect de son œuvre en coscénarisant chaque épisode de la série. Produite par Paolo Sorrentino et créée par Saverio Costanzo, L’Amie prodigieuse est en outre narrée par l’actrice florentine Alba Rohrwacher, dont la sœur Alice a réalisé les deux épisodes médians de la saison 2.

Dans la tradition du mélodrame

Il eût été difficile d’imaginer plus fidèle adaptation de la fresque romanesque d’Elena Ferrante. Publiés en Italie entre 2011 et 2014, les volumes de sa tétralogie (L’Amie prodigieuse, Le Nouveau Nom, Celle qui fuit et celle qui reste, L’Enfant perdue) donnent tous lieu à une saison de huit épisodes – la dernière devrait être diffusée en 2023. Situé pour une bonne part à Naples et s’étendant de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à 2010, le récit couvre plus d’un demi-siècle d’histoire italienne à travers le regard lucide, perspicace et rétrospectif d’Elena Greco, dite Lenù. Qu’il soit question de fascisme, de communisme, d’ultranationalisme, de terrorisme ou de féminisme, toutes les tensions de l’époque sont filtrées par la sensibilité et le lyrisme de la narratrice, fille de portier de mairie, bien résolue à prendre les rênes de sa propre vie.

<em>L’Amie prodigieuse</em>, dir. S. Costanzo - crédits : Eduardo Castaldo ; © Wildside SRL / Umedia Production SPRL 2018

L’Amie prodigieuse, dir. S. Costanzo

L’histoire commence par la fin : dans un bref prologue, Lenù, âgée de soixante-six ans, apprend que son amie d’enfance Raffaella Cerullo, dite Lila, a disparu de Naples sans laisser de trace. Elle décide alors de replonger dans le passé et de rédiger leur histoire dans l’ordre chronologique, de l’enfance à la vieillesse, en passant par l’adolescence, la jeunesse, l’époque intermédiaire et la maturité, selon le découpage établi par Ferrante au fil de ses quatre romans. De sorties en ville qui se terminent toujours mal en commérages sur les amours de l’une ou de l’autre, de « trempes » assénées par des maris aigris en loi du silence imposée par les camorristes qui tiennent le quartier, de mariages arrangés pour sortir la famille de la misère en rêves d’unions qui ne pourront jamais se concrétiser, c’est à une réalité des plus âpres que nous confronte le récit de Lenù, mais sans qu’elle se départe jamais du cartésianisme et de l’optimisme qui la caractérisent.

À l’image des mélodrames de Douglas Sirk, L’Amie prodigieuse est une œuvre passionnelle, mais jamais emphatique, et encore moins misérabiliste. Le choc des cultures et des classes sociales qu’elle nous fait éprouver renvoie aux antagonismes qui marquent la filmographie de Luchino Visconti, comme si les protagonistes de Rocco et ses frères (1960) rencontraient ceux du Guépard (1963). Entre austérité néoréaliste et ardent refus de se plier à une condition prédéfinie – qu’elle soit féminine, prolétaire, napolitaine –, L’Amie prodigieuse cherche à tracer sa propre voie. C’est sans doute cette quête de singularité qui, paradoxalement, lui permet de raviver avec autant de fougue la flamme du cinéma italien d’après-guerre.

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Écrit par

  • : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, enseignant contractuel à l'université Paul-Valéry-Montpellier III

Classification

Média

<em>L’Amie prodigieuse</em>, dir. S. Costanzo - crédits : Eduardo Castaldo ; © Wildside SRL / Umedia Production SPRL 2018

L’Amie prodigieuse, dir. S. Costanzo