L'AMIE PRODIGIEUSE (dir. S. Costanzo)
Du passé revisité au futur incertain
La structure narrative adoptée par Elena Ferrante pour les quatre volumes de sa saga se caractérise par une linéarité et des accents d’épopée qui donnent à son adaptation télévisuelle des airs d’évidence. Mais la série ne se contente pas de retranscrire le texte original, elle le transcende en tirant pleinement parti des puissances de l’image et du son. Mêlant réalité, souvenirs et fantasmes, son récit nous immerge dans un passé « simple » mais aussi, bien souvent, antérieur. Les deux protagonistes, Lenù et Lila, étant interprétées d’abord par des enfants (épisodes 1 et 2), puis par des adolescentes (jusqu’à la fin de la saison 3), il arrive que les secondes revoient les premières exactement au même endroit, selon le même cadrage, comme pour illustrer le principe de récurrence sérielle qui nous permet de voir grandir des êtres qui nous sont peu à peu devenus familiers. Les actrices (Elisa Del Genio puis Margherita Mazzucco pour Lenù, Ludovica Nasti puis Gaia Girace pour Lila) tiennent là leur premier rôle, après avoir été choisies parmi plusieurs milliers de candidates : l’éclosion se joue donc des deux côtés de l’écran, ce qui renforce indéniablement le sentiment d’adhésion que procure chaque nouvelle saison de la série.
Cette impression est augmentée par un générique d’ouverture dont le contenu s’adapte à chaque nouvelle saison en reprenant le sous-titre du roman correspondant de Ferrante et en thématisant chaque épisode à l’aide d’un nom de chapitre, quant à lui original. Avec sa granularité prononcée et ses couleurs délavées qui renvoient à l’esthétique d’un film tourné en Super 8, ce générique nous projette dans la saison à venir en enchaînant des images d’épisodes que nous allons bientôt découvrir. Cette double temporalité – passé et futur, passé revisité depuis le futur et futur semblant d’emblée déjà passé – est parfois symbolisée par des jeux de surimpressions qui instaurent une dialectique entre deux états : un « ça a été » et un devenir incertain qui confèrent à l’humain toute sa complexité. La même idée se dégage de certains raccords de mouvements ou de visages qui font office d’ellipses, comme si le temps avait subrepticement filé entre nos doigts. D’autant plus vertigineuse est la perspective de voir Alba Rohrwacher, narratrice en voix off de la série, incarner la version quadragénaire de Lenù dans la quatrième et dernière saison de l’adaptation télévisuelle – comme si nous l’avions toujours connue, comme si nous avions toujours su que c’était elle, Elena.
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Écrit par
- Benjamin CAMPION : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, enseignant contractuel à l'université Paul-Valéry-Montpellier III
Classification
Média