L'AMOUR LA MER (P. Quignard) Fiche de lecture

Histoires de l’Ancien Monde

Le premier chapitre s’ouvre avec la description, chère à la peinture de ce temps, de joueurs de cartes et l’amour parfait des deux héros, Thullyn et Hatten. Les chapitres suivants (« Le tapis vert », « Vies des musiciens », « Le chant », « L’amour », « La mer de Marmara », « La forêt », « L’estuaire », etc.) construisent, à la manière d’un fleuve allant à la mer, les intrigues autour des personnages, de leurs passions, ainsi que des paysages où ils apparaissent et disparaissent. Quant à l’épilogue, « Le murmure », il transporte le lecteur à la veille de la Révolution française, dans le monde d’après : les « compagnons de jeu » sont remplacés par les cris et les épées ; un jeune homme sauve une femme (la petite-fille de Meaume) de la bataille dans la rue ; « il la regarde dormir dans le noir » et contemple « ses seins si beaux qui se soulèvent en respirant ». Allégoriques, les dernières lignes se ferment sur une invitation à aimer la beauté murmurante dans notre monde qui s’entretue.

Limpide et charnelle, lumineuse et méditative, l’écriture de Pascal Quignard renoue avec l’épopée et le mythe. Son phrasé bref ou long, à la manière de l’allegro ou de l’andante d’une composition musicale, rythme l’effroi et l’extase des sens. Dans le puzzle qu’il compose à partir de monologues intérieurs, de dialogues, de fragments biographiques, de souvenirs personnels, de digressions ou de fulgurants aphorismes, l’auteur multiplie les points de vue ; des retours en arrière et des anticipations enchâssent la narration. Un étrange effet de déréalisation naît de ces collages abrupts du présent et du passé.

L’Amour la mer est tout à la fois le roman d’un érudit, d’un poète des éléments, d’un virtuose de la langue, d’un peintre de paysages et de la chair. Il est aussi celui d’un grand méditant et d’un moraliste héritier du Grand Siècle. On pourrait enfin y voir un somptueux tombeau littéraire ouvert aux merveilles de la musique, de l’amour et de la Terre-mère dans la nuit du monde.