L'ANATOMIE DE LA MÉLANCOLIE, Robert Burton Fiche de lecture
Somme d'érudition, d'intelligence et d'humour, L'Anatomie de la mélancolie a prêté à Robert Burton (1577-1640) la réputation, plus artificieuse que justifiée, d'un Montaigne anglais. Leur démarche est, en fait, parallèle et distincte, en ce sens que l'un se nourrit de son expérience vécue pour tenter de vivre mieux et l'autre sollicite d'un savoir encyclopédique un enseignement thérapeutique propre à l'aider à vivre moins mal.
Où Montaigne est poussé par l'exubérance, le solitaire d'Oxford explore la grande bibliothèque du savoir universel, en quête d'informations capables d'apaiser une mélancolie en laquelle il veut percevoir un malaise commun à la plupart des hommes.
Véritable thesaurus de citations, de connaissances et d'auteurs oubliés ou mal connus, l'ouvrage de Burton, découvert tardivement en France, éclaire la face cachée d'une culture où les progrès de la science ont relégué dans une obscurité imméritée les théories physiques, géographiques, médicales, chimiques, psychologiques du passé.
« Paucis notus, paucioribus ignotus... »
« Connu de peu, inconnu d'un peu moins, ici repose Démocrite Junior, à qui la mélancolie a donné vie et mort. » Telle est l'épitaphe choisie par celui qui, principal du collège de Christ Church à Oxford, trouva refuge, au sein de ses fonctions officielles, dans l'austérité d'une réclusion qui l'autorisait à étudier allègrement les causes d'une désolation dont il s'érigeait en victime exemplaire.
Paru en 1621, L'Anatomie de la Mélancolie : ce qu'elle est. Ses manifestations, causes, symptômes, signes pronostiques, et les différentes manières de la soigne... par Démocrite Junior. Avec une Préface satirique menant au discours qui suit. Macrob. Omne meum, Nihil meum, connut une grande vogue au xviie siècle, où l'ouvrage fut réédité sept fois en quarante ans.
C'est en prenant pour guide le fil de la mélancolie que Burton développe son œuvre comme un parcours labyrinthique dont le centre serait l'homme, saisi dans la diversité de ses reflets culturels. Plus de 1 600 auteurs sont cités, d'Hésiode aux contemporains. On compte plus de 11 000 citations, sans relever les emprunts à la Bible. « J'ai, dira Burton, laborieusement compilé ce centon à partir de divers auteurs, et, sine injuria, je n'ai fait de tort à personne et j'ai rendu à chacun ce qui lui appartenait. » Ainsi s'estime-t-il en droit de revendiquer hautement le crime stigmatisé par Cynesios de Cyrène, « voler les travaux des morts ».
Alors que Montaigne, que Burton a lu dans une traduction anglaise, annonce dès la première page des Essais : « C'est moi que je peins », celui qui se dissimule sous le pseudonyme de Démocrite Junior manifeste, apparemment tout au moins, une disposition différente : « Ami lecteur, je suppose que tu es fort curieux de savoir qui est cet acteur antique ou cet usurpateur qui pénètre avec tant d'insolence sur cette scène publique [...] Ne t'acharne pas sur ce qui est dissimulé [...] je n'apprécierais guère que l'on sache qui je suis. » Il va pourtant de soi qu'en auscultant avec une précision amusée l'homme atteint d'une mélancolie endémique, c'est lui-même qu'il s'efforce de traiter avec les ressources d'un savoir thérapeutique, auquel il réclame moins la guérison qu'une rémission.
S'il écrit : « Mon objectif et ma tâche [...] est d'anatomiser cette humeur mélancolique en suivant toutes les parties et espèces, comme on le fait d'ordinaire pour une maladie courante, et de le faire philosophiquement, médicalement, pour en montrer les diverses causes, les divers symptômes et les divers moyens de la guérir, de sorte qu'il soit plus facile de l'éviter », il ne manque pas de reconnaître[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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