L'ANNIVERSAIRE, Juan José Saer Fiche de lecture
Un équilibre miraculeux
Comme pour illustrer le titre espagnol du roman, Glosa (Glose), tout ici est prétexte à commentaire : le narrateur se lance dans une démarche auto-métatextuelle, à grand renfort de considérations planétaires plus ou moins intempestives, d'interpellations insolites du lecteur qui confèrent à son discours un statut aléatoire, ou de mises en cause des conventions qui gangrènent le langage journalier. La fête d'anniversaire est d'abord rapportée par un témoin direct, mais peu fiable, au Mathématicien ; celui-ci, à son tour, en rend compte à Leto. En chemin, les deux compères rencontrent le journaliste Tomatis, personnage récurrent chez Saer, qui donne lui aussi une version très négative de l'événement. Finalement, peu importe de savoir où est la vérité. Bien qu'absents de la fête, Leto et le Mathématicien en garderont un souvenir indélébile. Car, plus que l'expérience directe, ce qui compte, ce sont les traces qu'elle laissera dans leur mémoire à partir de leur propre interprétation, en grande partie imaginaire : la fête devient ainsi un mythe personnel.
S'il est persuadé, comme Borges, de l'inaccessibilité du réel, Saer croit au pouvoir de transfiguration de l'art et du langage. Qualifié dans l'épigraphe de « comedia » – ce genre théâtral espagnol où le comique et le tragique se côtoient –, L'Anniversaire ressemble à ce tableau, dans le style de Jackson Pollock, que les deux promeneurs contemplent dans une vitrine : « une accumulation de gouttes, de taches, de coulures, d'éclaboussures de peinture fluide et multicolore qui se superposent, s'opposent, s'annulent, se mélangent, se combinent et qui, par un effet d'ensemble, s'équilibrent, miraculeusement, en dépit du rythme irrégulier et frénétique et du hasard vertigineux avec lesquels la peinture s'est répandue sur la toile ».
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Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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