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L'APPRENTI, Raymond Guérin Fiche de lecture

Tout dire

L'Apprenti s'inscrit directement dans le sillage de Mort à crédit de Louis-Ferdinand Céline, dont il partage la même thématique de l'initiation. Mais là où Céline met en scène un narrateur pleinement acteur du récit, entraînant le lecteur dans une épopée truculente, Guérin fait de Monsieur Hermès l'observateur d'un univers et d'une expérience humaine qui lui sont imposés et auxquels il se sent étranger. Si le roman est bien réaliste, et même « hyperréaliste », le réel qu'il décrit est agencé du strict point de vue du héros qui, au fur et à mesure qu'il prend conscience de son statut de déclassé, voire de paria, règle des comptes avec sa vie.

Livre violent, féroce, mais aussi d'une irrésistible drôlerie, L'Apprenti, s'il présente, dans son évocation du Paris des années 1920 et des petites gens des faubourgs, des aspects populistes qui l'apparentent aux récits d'un Eugène Dabit, est avant tout une entreprise de démolition des apparences sociales, dont le palace où travaille le héros est le théâtre symbolique. Sur le devant de la scène, le luxe et son cérémonial : nappes immaculées, serviettes en bonnets d'archevêque, personnels en livrée. En coulisses, l'eau graisseuse de la plonge, la sueur des pieds et toutes les abjections. Même hiatus chez les clients impeccables et guindés le jour et qui, la nuit, se débondent dans des débauches dont Monsieur Hermès établit la minutieuse nomenclature.

Celui-ci ne se contente pas en effet de dévoiler l'envers des réalités, il en établit le procès-verbal sans reculer devant les détails les plus sordides. Dans ces quatre cents pages serrées qui relatent à peine un an de sa vie, il prend le parti de tout dire sans la moindre retenue – les chaussettes sales, les écoulements, les saletés glissées dans l'assiette des clients –, comme si seule une confession totale pouvait permettre d'exorciser une expérience, où « on pataugeait à tout jamais dans une sorte de néant ». En cela, il est bien le double, l'exécutant de l'auteur lui-même : « Il est temps, dit Guérin, d'arracher le masque, de faire éclater les antiques tabous. [...] Car c'est seulement ainsi que l'on prendra sainement conscience des mythes qui pourrissent et paralysent la réalité. Dût-on pour peindre cette atroce mythologie laisser couler de la plume les mots et les phrases comme un pus. »

Depuis sa parution, L'Apprenti fait l'objet d'un culte auprès de quelques lecteurs. Parce qu'il appartient aux grandes œuvres de combat que le xxe siècle a suscitées, il faut espérer qu'il rencontre un jour sa consécration auprès d'un plus large public.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Autres références

  • GUÉRIN RAYMOND (1905-1955)

    • Écrit par
    • 500 mots

    C'est au début des années 1980 qu'on redécouvre Raymond Guérin, tombé dans l'oubli depuis sa mort, en 1955. Les éditions Le Tout sur le tout, la revue Grandes Largeurs, Gallimard s'y emploient plus particulièrement.

    La vie de Guérin n'a rien d'exceptionnel. À la fin des années...