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ARIOSTE L' (1474-1533)

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Le « Roland furieux »

Un poème irrégulier

Le Roland furieux peut passer pour le chef-d'œuvre littéraire du discontinu. La liberté d'invention de l'Arioste refuse les préceptes ou les axiomes des « arts poétiques » ; les critiques aristotéliciens de la seconde moitié du xvie siècle s'irriteront de son succès, de la faveur d'un poème dont l'irrégularité est à leurs yeux plus qu'un défaut ; ils le jugent comme un pernicieux exemple et le sentent comme une provocation. Le poète ne s'est pas laissé lier les mains ni par le Roland amoureux de Boiardo, dont il ne reprend que ce qui lui convient, laissant en suspens bien des narrations amorcées, ni par l'usage de conduire toute aventure jusqu'à un dénouement, tout personnage jusqu'à l'accomplissement d'une destinée. Mais si la contingence est l'âme du Roland furieux, elle n'y exerce pas l'empire d'un système ; l'Arioste n'est l'ancêtre ni du « nouveau roman » ni de l'« œuvre ouverte ». Des histoires comme celle de Roger et de Bradamante, des épisodes comme celui d'Olimpia, des nouvelles incluses comme celle de Joconde suivent une courbe traditionnelle sans déjouer ni surprendre les habitudes du lecteur.

Sautes de récit, interruptions en « suspense » avec de lointaines suites inopinées, digressions de tout ordre, afflux soudain de personnages adventices, rapides changements de thèmes et de ton : le lecteur nonchalant peut se contenter d'en goûter le charme, au rythme, ingénieusement divers, des cadences régulières de l'octave ; mais l'entière appréciation de l'œuvre se situe au-delà, par la perception des correspondances qui s'instituent dans une composition apparemment si capricieuse, et dans la reconnaissance d'un contenu idéologique moins indifférent qu'il n'a parfois été dit.

Le sujet et les personnages

L'action qui enveloppe de près ou de loin toutes les autres au fil des 38 736 vers du poème est la guerre que se livrent chrétiens et Sarrasins. Dans le Roland amoureux, Boiardo avait fait partir pour le France le roi africain Agramant, résolu à venger son père tué naguère par Roland. Agramant reparaît chez l'Arioste avec l'allié qu'il avait déjà chez Boiardo, le roi d'Alger Rodomont, de même que reparaissent le brillant Roger, ancêtre de la maison d'Este, aimé de la belle guerrière Bradamante, et, il va sans dire, Roland, amoureux d' Angélique, fille de l'empereur du Cathay : pour cette beauté d'Extrême-Orient, il oublie déjà tous ses devoirs de paladin. Quand commence le poème de l'Arioste, les meilleurs chevaliers de Charlemagne, Roland et Renaud, se disputent l'amour d'Angélique, tandis que les Sarrasins débarquent en Espagne, franchissent les Pyrénées et vont mettre le siège devant Paris. La guerre se poursuivra sur les rives de la Seine jusqu'au chant XXXI, puis les Sarrasins, défaits, reflueront jusqu'en Arles ; Agramant, réfugié après une autre défaite dans l'île de Lampéduse, sera tué en duel par Roland. Rodomont sera pareillement tué par Roger, à Paris où il s'est rendu pour le provoquer, et tout s'achève par la mort des principaux chefs des Infidèles après la déroute de leurs armées.

Mais si le personnage éponyme du poème est Roland, c'est à cause de sa passion amoureuse autant que de ses prouesses. Du guerrier absolu de l'épopée franque, Boiardo avait déjà fait la victime désorientée du charme de la coquette et perfide Angélique. L'Arioste, non content de lui prêter un amour dont l'ardeur est à la dimension de sa grande âme, le rend aussi démesuré dans la passion que dans la vaillance et la force. La pensée obsédante d'Angélique lui fait déserter le camp chrétien pour errer à l'aventure en quête de la princesse,[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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