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L'ARMÉNIE, DES ORIGINES AU IVe SIÈCLE (exposition)

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En faisant découvrir au grand public les trésors de l'Arménie ancienne, l'expositionL'Arménie des origines au IVe siècle organisée à Nantes du 23 mars au 15 septembre 1996, au musée Dobrée, a été l'une des manifestations les plus originales de l'année 1996. Le projet de l'exposition est né au cours d'une mission humanitaire, au lendemain du séisme qui ravagea l'Arménie soviétique en 1988. Sa réalisation par le commissaire Jacques Santrot nécessita l'engagement du conseil général de la Loire-Atlantique et donna la preuve de la vitalité des relations entre la France et l'Arménie indépendante, depuis 1991. Deux comités scientifiques, l'un arménien présidé par Aram Kalantarian, directeur de l'Institut d'archéologie et d'ethnographie d'Erevan, l'autre international présidé par Paul Bernard, spécialiste de l'histoire de l'expansion grecque en Asie, ont présidé au choix des objets, ont discuté leur datation, leur attribution et leur interprétation, opérations d'autant plus indispensables que le champ couvert par l'exposition s'étendait de la préhistoire au début de l'ère chrétienne, que certains des objets provenaient de découvertes fortuites ou de fouilles récentes et que leur étude relevait de disciplines variées.

Quelques rares pièces majeures étaient prêtées par le musée du Louvre, le British Museum, le Museum zu Allerheiligen de Schaffhausen, le cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France et la bibliothèque de l'Institut de France. Mais la plupart des deux cent soixante-neuf pièces exposées, ainsi que neuf autres hors catalogue, destinées à remplacer les pièces transférées à Paris à l'occasion de la remarquable exposition corollaire Arménie entre Orient et Occident qui s'est tenue à la Bibliothèque nationale de France du 14 juin au 20 octobre 1996, provenaient des collections des musées arméniens d'Erevan, de Sardarapat, de Gumri. Révélant l'ancienneté, la richesse et la diversité de l'héritage culturel arménien, l'exposition de Nantes a été un événement, car, à l'exception de quelques objets déjà vus dans deux expositions, à Paris en 1970 et à Bochum en 1995, beaucoup d'œuvres sortaient pour la première fois d'Arménie.

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Située au nord de l'Assyrie, au sud du Caucase, à l'est de l'Anatolie, au nord-ouest du plateau iranien, définie très souvent par référence aux sociétés et aux États qui y sont apparus, soumise aux influences du monde grec, pénétrée par les incursions des nomades des steppes, l'Arménie a été un carrefour de civilisations. Selon les termes de Véronique Schiltz dans un des remarquables articles du catalogue, à la fois livre d'art et ouvrage d'érudition, « c'est d'abord un territoire qui fait l'unité de cette exposition ». Ce territoire, celui de l'actuelle république d'Arménie, est réduit à la partie septentrionale de la Grande Arménie et reste, malgré sa prodigieuse richesse archéologique, un champ de recherche encore à peine exploité. Un parcours chronologique ponctué de cartes, de photographies, de panneaux didactiques était proposé au spectateur. Il lui était aussi rappelé que l'Arménie a été une terre de mythes où se sont mêlées les traditions mésopotamiennes, bibliques, iraniennes et grecques, une terre peuplée de dragons et de géants substituts des Scythes, de héros tels Prométhée et des Amazones, qui échappent aux normes de l'espèce humaine. Terre de mythes, l'Arménie a également été une terre des origines. C'est là, au pied de l'Ararat, la montagne sacrée, que l'humanité aurait pris un nouveau départ après le Déluge.

Cette présentation classique, où se lisait le penchant des archéologues ex-soviétiques pour les théories qui mettent l'accent sur l'évolution des sociétés et pour l'histoire comparée, était heureusement compensée par la nouveauté et la beauté des œuvres exposées. Le début de l'exposition était placé sous le règne de l'obsidienne, matériau par excellence des industries lithiques, qui a été un objet de « commerce international » pendant la préhistoire. Ces gisements auraient fixé les premières implantations humaines dans la chaîne de l'Aragatz. Un grand nucléus prismatique, des bifaces, des lames attestaient la lente évolution, mais aussi l'unité fondamentale des industries du Paléolithique et du Mésolithique.

Au cours du VIIe millénaire, l'Arménie a participé à la révolution néolithique, elle a connu la domestication des plantes et des animaux. L'apparition d'une culture du cuivre et de la terre cuite au Chalcolithique et au Bronze ancien a donné naissance à une culture locale « kouro-araxienne » (4000-2200 av. J.-C.). Un support de foyer aux deux béliers, des figurines féminines, un vase polychrome orné d'un registre d'oiseaux témoignaient des progrès techniques et artistiques. Les pièces trouvées dans le trésor du kourgane princier de Kharachamb, daté du xxiie siècle avant J.-C., un collier d'or à pectoral de cornaline, plusieurs gobelets en or, une hachette de cérémonie en argent et surtout un très beau gobelet cylindrique en argent orné de scènes de chasse royale sont déjà des œuvres accomplies.

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La période charnière entre le Bronze final et le Fer ancien a été très productive en Arménie, où les contacts avec les cultures voisines sont nettement perceptibles. Diverses nécropoles ont livré des armes, des ornements de char zoomorphes, des bijoux, des vases, des coupes. Datée du Ier millénaire avant J.-C., la tête d'un prince à tiare radiée est une sculpture raffinée qui attirait l'attention des visiteurs. Objets de commentaires savants, une ceinture-calendrier, des pétroglyphes, certains motifs décoratifs de céramiques seraient liés à la mesure du temps, et à l'existence en Arménie d'un calendrier solaire similaire au calendrier iranien.

L'exposition consacrait une large place au royaume d'Ourartou. Ce puissant royaume qui émerge au ixe siècle avant J.-C. et s'effondre au viie siècle, peut-être sous les coups conjugués des Mèdes et des Scythes, a occupé un vaste territoire entre la Koura, l'Euphrate et le Tigre. L'histoire, l'organisation étatique et militaire du royaume d'Ourartou, dont les capitales Touchpa (Van en Turquie), Arguichtikhinili (Armavir), Erebouni (Erevan) ont laissé des vestiges mégalithiques, ont été étudiées par le Russe B. B. Piotrovski mais restent trop souvent ignorées en Occident. Les affrontements et les contacts constants avec l'Assyrie ont laissé leur marque sur la civilisation ourartéenne : sa langue aurait appartenu au rameau hourrite, son écriture était cunéiforme. Plusieurs tablettes royales portant l'empreinte de sceaux-cylindres initiaient les visiteurs de l'exposition aux problèmes d'intendance du domaine royal. Des figurines en bronze de la déesse Arubani, du dieu guerrier Tichéba, un bouclier votif offert au dieu Khaldi, de superbes têtes de chevaux, une situle décorée d'un arbre de vie, une ceinture à décor incisé de cervidés ou une plaque votive donnaient la preuve de l'habileté légendaire des forgerons ourartéens et de la fécondité artistique d'une société développée.

Au vie siècle avant J.-C. apparaissent les Arméniens, groupe dominant dans l'une des satrapies de l'empire achéménide qui succéda au royaume d'Ourartou. Leur langue indo-européenne était différente de celle de leurs prédécesseurs, dont ils recueillirent l'héritage. Intégrés dans l'empire perse de Cyrus et de Darius, puis dans les royaumes hellénistiques issus de l'empire d'Alexandre, les Arméniens constituèrent un royaume indépendant, mais convoité par les Parthes et par les Romains. Sous la dynastie des Arsacides, d'origine sassanide, l'Arménie connut un apogée politique, comme l'atteste la frappe par Tigrane II le Grand (95-55 av. J.-C.) des premières pièces de monnaie, monnaies que l'on pouvait voir à Nantes. Elle participe pleinement à la culture hellénistique, dont le temple ionique périptère de Garni (ier siècle apr. J.-C.) est un exemple remarquable. Des cornes-rhytons d'argent ou de terre cuite, de la vaisselle d'argent, neuf mille bulles portant des empreintes de sceaux trouvées à Artachat, la nouvelle capitale, des pièces d'orfèvrerie, une intaille au portrait d'Arsinoé, une statuette de la déesse Anahita et une autre d'Aphrodite, une tête de Cléopâtre Séléné, une figurine de Mithra témoignaient du syncrétisme des religions et des formes dont l'Arménie fut le creuset. L'exposition s'achevait par l'évocation de la conversion de l'Arménie au christianisme au début du ive siècle, malgré le poids du mazdéisme. Suscitant la création d'un alphabet et d'une littérature, cette religion allait devenir une des marques de l'identité arménienne et le facteur essentiel de la continuité historique du peuple arménien.

— Anahide TER MINASSIAN

Bibliographie

Arménie. Trésors de l'Arménie ancienne des origines au IVe siècle, J. Santrot dir., catal. expos., musée Dobrée, Nantes, Somogy, Paris, 1996

Arménie entre Orient et Occident, trois mille ans de civilisation, R. H. Kévorkian dir., catal. expos., BNF-Seuil, Paris, 1996

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L'Art arménien de l'Ourartou à nos jours, catal. expos., musée des Arts décoratifs, Paris, 1970

Armenien, Wiederentdeckungeiner alter Kulturlandschaft, catal. expos., Museum Bochum, Bochum, 1996

« Arménie, 3 000 ans d'histoire », in Les Dossiers d'archéologie, Dijon, déc. 1992

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« L'Arménie des origines », in L'Archéologie, no 19, mars 1996

B. B. Piotrovski, Ourartou, Nagel, Genève-Paris-Munich, 1970.

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