L'ART DU GRAND NORD (dir. J. Malaurie) Fiche de lecture
En contrepoint à la réflexion sur les arts premiers relancée par Jacques Kerchache et poursuivie avec le musée du quai Branly à Paris, les éditions Citadelles et Mazenod ont publié un somptueux volume consacré à l'Art du Grand Nord (2001). Jean Malaurie, le directeur de l'ouvrage, salue dans son introduction la « Renaissance des peuples premiers ». Mais, s'agissant de l'art, un tel qualificatif a peu de sens, comme le montrent les différentes contributions du livre et surtout ses illustrations d'excellente qualité : cet art, en effet, n'est premier ni dans une perspective arbitrairement évolutionniste et ethnocentriste de l'esthétique, ni dans une perspective chronologique. Les œuvres étudiées témoignent souvent d'une richesse d'imagination, d'une maîtrise technique et d'une qualité esthétique remarquables. Quant aux objets utilitaires, les plus nombreux, ils révèlent souvent une perfection qui n'a rien à envier au design contemporain. En outre, ces œuvres d'art ne remontent nullement aux origines de l'homme moderne, donc de l'expression artistique, à de rares exceptions près comme les figurines féminines de Malta en Sibérie, qui ont plus de 20 000 ans ; la plupart ont été réalisées au cours des siècles derniers. Enfin, et c'est l'un des intérêts du livre, chaque auteur met en valeur les formes contemporaines de l'expression artistique des populations dont il traite.
Le Grand Nord est pris ici dans un sens très large, puisqu'il inclut Hokkaidō, l'île septentrionale de l'archipel japonais, située à la latitude du sud de la Roumanie, où survivent encore les Aïnous, peuple d'origine paléo-sibérienne qui résidait autrefois dans l'archipel des Kouriles et dans le Kamtchatka. C'est la nouveauté du livre de réunir, pour le public francophone, les mâts totémiques et les masques des Amérindiens de la côte nord-ouest de l'Amérique, qu'il connaît déjà bien, l'art, qu'il connaît moins, de l'Arctique esquimau préhistorique, des Esquimaux et des Aléoutes d'Alaska, l'art encore moins connu des Amérindiens athapascans et algonquins du nord de l'Amérique, avec celui, presque ignoré, d'une douzaine de petits peuples du Kamtchatka et de Sibérie, dont les Sames, que l'on appelle les Lapons en Europe. La plupart de ces peuples, comme les Inuit, se désignent sous un ethnonyme qui signifie « les véritables êtres humains », témoignant de l'ethnocentrisme qui sous-tend la perception de la notion d'humanité.
Dans le dernier chapitre, Isabelle Monod-Fontaine, conservatrice au Centre Georges-Pompidou, montre comment l'art de certains de ces peuples inspira les artistes du xxe siècle à partir du surréalisme. C'est peut-être dans cette inspiration et dans la comparaison qu'elle instaura des œuvres modernes avec leurs sources du Grand Nord, que l'expression « arts premiers » pourrait prendre un peu de sens. Au profond enracinement culturel et collectif des « arts premiers » s'oppose l'inspiration essentiellement individualiste des « arts seconds » ou modernes. Dans la plupart des contributions, un thème revient avec pertinence : la notion d'art, telle que nous la connaissons en Occident, n'existe pas dans les traditions culturelles des peuples du Grand Nord. Pour être fonctionnel, un objet doit être beau, c'est-à-dire se conformer le plus parfaitement possible aux contraintes morphologiques et sémantiques imposées par la culture et la symbolique du groupe.
La traduction des textes originaux laisse parfois à désirer. Ainsi, pour la préhistoire de l'Arctique, Dorset Culture est traduit par « culture du Dorset », pouvant laisser croire qu'il s'agit de celle d'un comté d'Angleterre, alors que « Dorsétien », ou « culture »[...]
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Écrit par
- Patrick PLUMET : docteur d'État de l'université de Paris-I-Sorbonne, archéologue, professeur honoraire au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère, université du Québec à Montréal