L'ASTRÉE, Honoré d'Urfé Fiche de lecture
On a, de nos jours, trop tendance à négliger les grands romans des xvie et xviie siècles. On se fie à Cervantès pour repousser les romans de chevalerie, on croit sur parole les Scarron, Sorel et autres Furetière, qui parodient les auteurs d'Amadis, de L'Astrée et du Grand Cyrus, en ignorant trop souvent que tous ces gros ouvrages ont fait l'objet d'un véritable culte. Le succès de L'Astrée, par exemple, ne s'éteignit vraiment qu'en 1761, lorsque Rousseau remplaça Honoré d'Urfé avec La Nouvelle Héloïse.
La venue de L'Astrée sur la scène littéraire n'est pas surprenante. On aime alors les romans d'aventure : tout le monde – à commencer par Henri IV – a lu Amadis de Gaule dans la version de Montalvo (1508), en espagnol ou en traduction française ; La Jérusalem délivrée du Tasse (1581) et le Roland furieux de l'Arioste (1532) sont dans toutes les têtes. On adore aussi les romans sentimentaux antiques d'origine savante, en particulier l'Histoire éthiopique, ou les Amours de Théagène et Chariclée d'Héliodore de Sicile (iiie siècle apr. J.-C.), dans lequel une jeune fille non mariée et vertueuse subit toutes les embûches d'un amour maintes fois contrarié. Enfin, l'Italie et ses bergers fidèles (G. B. Guarini, Il Pastor fido, 1602) ravissent les esprits en proposant un idéal de paix et d'amour, fondé sur une nature domestiquée. Tout est donc prêt pour que naisse, dans une France accédant à un repos précaire après les guerres de religion, un texte qui raconte d'« aventureuses et fortunées amours ».
Honoré d'Urfé (1567-1625) est un catholique et un aristocrate du Forez, un ancien ligueur réfugié en Savoie, un combattant remarqué contre Henri IV avant d'être pardonné par le premier des Bourbons. Cet ami de François de Sales est lui aussi un admirateur des romans espagnols et italiens, de la Diana de J. de Montemayor (1561), de l'Arcadia de J. Sannazaro (1504), ou de L'Arcadia de Lope de Vega (1598). Il publie en 1607 le premier volume de L'Astrée, en 1610 le deuxième, en 1619 le troisième, et rédige les quatre premiers livres de la quatrième partie avant de mourir, en 1625. Balthazar Baro, son secrétaire, poursuit cette quatrième partie pour la publier en 1627, et écrit « d'après les notes de l'auteur » une cinquième et dernière partie, publiée en 1628. Ce livre de 5 000 pages connaîtra un succès immense en France et en Europe, immédiatement suivi d'imitations plus ou moins bonnes, et d'adaptations pour la scène théâtrale et musicale.
Un livre-univers
Un « grand roman » déploie un monde imaginaire qui représente aussi la totalité de l'univers, au nom d'une philosophie de la vie. Honoré d'Urfé situe son action en Forez, dans la Gaule du ve siècle, juste après l'invasion d'Attila : autrement dit dans un temps historico-mythique purement français, après un moment historique terrible, dans une nature accueillante et douce, près du lieu où la Seine et la Loire prennent leur source. L'Astrée est donc un roman national.
Dans ce cadre, l'analyse morale et sentimentale inspirée par une philosophie platonicienne peut à bon droit triompher ; une esthétique particulière peut être mise en place ; des débats peuvent avoir lieu sur une grande variété de cas exemplaires consacrés à l'amour et à l'amitié qui doit lier les individus ; une conversation peut s'élaborer en même temps qu'elle est représentée ; et tous les genres de haut parage peuvent être convoqués : poésie amoureuse, lettre aristocratique, dialogue amoureux et débat théorique, méditation, confession, casuistique rhétoriquement ordonnée, récits mythiques et historiques, épopée...
L'image d'une nouvelle jeunesse innocente et policée, vertueuse et catholique, apparaît[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
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