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L'ASTRÉE, Honoré d'Urfé Fiche de lecture

Amour-amitié contre amour-passion

La structure adoptée par Honoré d'Urfé va devenir la règle durant plus de cinquante ans : cinq volumes (les cinq actes d'une tragi-comédie pastorale), douze livres par actes (douze scènes), des monologues lyriques, des débats psychologiques, un écoulement ralenti du temps, une action-cadre longue (l'histoire de l'amour entre Astrée et Céladon, doublée de celle de Diane et de Silvandre), des récits adventices enchâssés, thématiquement liés au récit principal, des pièces insérées qui peuvent elles-mêmes devenir autonomes : poèmes, chansons sentimentales ou statuts amoureux, qui joueront un rôle capital dans la formulation de l'esthétique précieuse. Pour assurer son impact sur le lecteur du temps, le roman a recours au vraisemblable : il a lieu au ve siècle, dans le Forez (mais aussi en Italie, en Savoie, en Provence et en Afrique). S'il se conforme à l'idée que l'on peut avoir alors de cette antiquité française, il relate aussi des mœurs compatibles avec celles des lecteurs, de même qu'il imagine des héros-bergers parfaitement rompus aux notions philosophiques, religieuses et morales du début du xviie siècle.

Dans ce « livre-monde », chaque héros poursuit un but individuel et héroïque : partager la vie des bergers, consulter la fontaine de Vérité d'amour, séduire sa belle, etc., et surtout voir clair en son cœur et concilier son bonheur et sa dignité. Chacun s'efforce de démêler l'inextricable écheveau des situations dans lesquelles il est pris : travestissements, malentendus, amour surprenant, échange d'identités, trahisons multiples, etc. Ce faisant, à travers des péripéties, des reprises structurelles, des redoublements au long de subtils entrelacs, les histoires concourent à rassembler ceux que le destin et l'intrigue s'étaient ingéniés à séparer, de manière à rejoindre, par-delà une complexité savante, une unité harmonieuse : « Durant les huit jours qu'Amasis avait destinés au plaisir, tous ces amants consommèrent heureusement leurs mariages, excepté Dorinde, que Godemar emmena à Lyon, après avoir su que Gondebaud consentait enfin que Sigismond l'épousât. Rosiléon et Rosanire s'en retournèrent auprès d'Argire ; Diane et Alcidon allèrent revoir leurs maisons et tous les bergers et bergères revinrent raconter à Lignon les triomphes qu'ils avaient emportés en la jouissance des faveurs qu'ils avaient si longtemps attendues ; dont cette rivière se rendit si savante qu'il semble encore aujourd'hui que, dans son plus doux murmure, elle ne parle d'autre chose que du repos de Céladon et de la félicité d'Astrée. » Dans l'intervalle entre la perte et les retrouvailles, le roman historique, le roman chevaleresque, le roman d'aventure, la tragi-comédie, la pastorale et l'histoire tragique ont pu se trouver réunis à l'intérieur d'un seul univers romanesque et sentimental.

À la suite de L'Astrée, roman pastoral, de nombreux « grands romans » héroïques naîtront, comme le Polexandre de Gomberville (1619-1637), Cléopâtre (1647-1662) et Pharamond (1661) de La Calprenède, et surtout comme les romans de Mlle de Scudéry, Le Grand Cyrus (1649-1653) et Clélie (1654-1660). Construits sur le même modèle que l'œuvre de D'Urfé, recourant encore plus nettement à la casuistique amoureuse, déterminés à faire rêver et à séduire, en même temps qu'à élaborer une honnêteté des mœurs, ces textes pastoraux, héroïques, précieux, puis galants, marquent le siècle. Ils vont de pair avec un infléchissement des mœurs dans le sens de la galanterie, d'une considération pour les sentiments épurés, pour la douceur comme principe, l'inclination – et non la passion – comme ressort majeur des rapports sentimentaux. Parallèlement, ils reprennent systématiquement le mythe d'un[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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