L'ATELIER D'ANDRÉ BRETON (collection)
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Quelque trente-sept ans après la mort d'André Breton (1896-1966), son atelier, qui renfermait ses collections d'objets et d'œuvres d'art, ses archives et sa bibliothèque, a été dispersé en vente publique, à l'hôtel Drouot à Paris, du 7 au 17 avril 2003.
L'annonce de cette dispersion suscita de vives réactions dès le mois de décembre 2002. Une pétition fut immédiatement lancée, un comité Breton créé, pour tenter de s'opposer à ce « sacrifice de la beauté surréaliste sur l'autel de la spéculation », en en appelant au sursaut de l'État. Or celui-ci, par le biais de la préemption, acquit lors de la vente un ensemble impressionnant de pièces majeures, jouant un rôle important dans la sauvegarde de cet héritage.
C'est à Aube Elléouët-Breton, la fille du poète, que revient l'initiative et le mérite de cette opération. En l'absence d'indications de la part de Breton quant au sort de ses objets et de ses livres, après l'échec d'une tentative menée pour ouvrir une fondation du surréalisme, elle opta pour la vente publique d'un fonds qu'elle avait consciencieusement géré durant plus de trente-cinq ans avec Élisa Breton, la dernière compagne du poète.
L'ensemble des manuscrits, des ouvrages, des photos, des tableaux, des objets d'art populaire, océanien, américain ou africain, et des objets « trouvés » (papillons, pierres, racines, etc.), a été répertorié et numérisé pour constituer un CD-ROM et une base de données en ligne, avant d'être divisé en nombreux petits lots, a priori accessibles à toutes les bourses. Le don, après coup, des meilleures pièces aux musées et bibliothèques qui s'en sont portés acquéreurs témoigne de la générosité d'Aube Elléouët-Breton et de son intention première : préserver l'esprit de son père en offrant à tous la possibilité de voir cet ensemble, d'en emporter même un morceau, et de sauvegarder l'essentiel dans les institutions publiques françaises.
Breton s'était installé dès 1922 au 42, rue Fontaine à Paris, dans le IXe arrondissement, où il occupa successivement deux ateliers. Hormis une parenthèse de six ans pendant la Seconde Guerre mondiale, il demeura dans le second jusqu'à sa mort.
Dans cet atelier d'écrivain, l'ordonnancement serré des objets formait œuvre et esthétique. Fasciné par les ateliers d'artistes, Breton instaura une relation privilégiée avec œuvres et objets, reposant sur l'idée de la trouvaille, une rencontre qui procure un « véritable frisson ». S'enveloppant de cette « physique de la poésie » nécessaire à son inspiration, il s'y fit photographier à plusieurs reprises après guerre, et évoqua souvent dans ses écrits cette « seconde peau ». Dans ce lieu de vie et de rencontres, le surréalisme se construisit à travers les séances collectives de sommeils, de jeux (cadavres exquis), d'excommunications, les enquêtes sur la sexualité et les comités de rédaction des revues Littérature, La Révolution surréaliste, Le Surréalisme au service de la révolution, dont les traces et le souvenir furent méticuleusement conservés, datés et classés, dans des dossiers.
Breton avait acquis tout jeune les premières œuvres de sa collection. Suivant la voie ouverte par Apollinaire, il rompit avec une conception hiérarchique de l'art, s'intéressant autant aux objets d'art primitif et à l'art populaire qu'aux œuvres de ses amis.
Alors qu'il était le conseiller artistique et le bibliothécaire du couturier Jacques Doucet, Breton constitua pour son mécène, de 1921 à 1925, une extraordinaire collection comportant des chefs-d'œuvre tels que Les Demoiselles d'Avignon de Picasso ou La Charmeuse de serpents du Douanier Rousseau. Il rassembla pour lui-même un ensemble étonnant d'œuvres de ses amis surréalistes et dada, dont Chimère de Max Ernst, Procession Séville de Picabia ou encore La Mariée de Duchamp. Cette première collection fut dispersée au moment de son divorce avec Simone, en 1929-1930. Mais si nombre d'œuvres furent un jour vendues, certaines restèrent dans l'atelier jusqu'à la mort du poète : la Boule suspendue de Giacometti, l'Objet du couchant de Miró ou encore Guillaume Tell de Dalí, toutes trois acquises par le Musée national d'art moderne ; ou encore la célèbre toile de Giorgio de Chirico Le Cerveau de l'enfant, dont Breton dut se séparer peu avant sa disparition, afin de racheter Le Grand Uli, statue sacrée du nord de la Nouvelle-Irlande. Dès 1927 il avait découvert les objets d'Amérique du Nord. Avec Claude Lévi-Strauss, il devait être un précurseur dans l'intérêt qu'il leur porta, collectionnant masques « à transformation » haïdas de Colombie-Britannique et poupées katchina d'Arizona.
Par son exposition, par l'inventaire préliminaire du fonds, la dispersion de cet atelier hétéroclite a permis de mieux apprécier la place spécifique de l'objet dans l'esthétique surréaliste et de mesurer le décloisonnement opéré. Sauf quelques pièces de très grande qualité, l'ensemble ne prenait pourtant son sens que par rapport à l'œuvre de Breton. Figer le tout derrière une vitrine muséale n'aurait offert qu'une solution peu satisfaisante. Seul un fragment du mur de l'atelier a été reconstitué au Musée national d'art moderne, dévoilant au public un fouillis de plus de 250 pièces, comme le « rappel de l'objectivation sans précédent du rêve surréaliste ».
Bibliographie
A. Breton, « C'est à vous de parler, jeune voyant des choses », in XXe siècle, no 3, juin 1952
A. Jouffroy, « L'Atelier André Breton », in L'Œil, no 10, oct. 1955 ; André Breton, la beauté convulsive, catal. expos., Musée national d'art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris, 1991 ; André Breton. 42, rue Fontaine, catal. de vente, 5 t., étude Calmels-Cohen, Paris, 2003 ; « La Collection André Breton », in La Revue du Louvre et des musées de France, no 3, 2003.
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Écrit par
- Cécile DEBRAY : conservatrice du Patrimoine, conservatrice au musée d'Art moderne de la Ville de Paris
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