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L'ATELIER D'INGRES, Eugène Emmanuel Amaury-Duval Fiche de lecture

À la suite d'Étienne Jean Delécluze, élève de David et critique d'art, qui avait publié, en 1855, Louis David, son école et son temps, Eugène Emmanuel Amaury Pineu-Duval dit Amaury-Duval (1808-1885), disciple d'Ingres, rend hommage à son maître dans un ouvrage vivant, fourmillant d'anecdotes mais aussi d'idées, qui connut à sa parution en 1878 un succès immédiat. Réédité avec une érudition sans faille par le meilleur connaisseur de l'œuvre d'Ingres, Daniel Ternois, ce document, capital pour comprendre la place centrale occupée par « Monsieur Ingres » au cœur du xixe siècle, vaut aussi pour le panorama qu'il offre de la vie artistique du temps : la pratique de l'enseignement, la formation des jeunes artistes, l'organisation matérielle du circuit des commandes, des Salons, des grands chantiers officiels. Au-delà de l'originalité d'Ingres, de son amour pour Raphaël, de son goût pour l'Italie, on y découvre le portrait en pied d'un grand artiste au xixe siècle. Ingres, moins cultivé que Delacroix, moins « homme de lettres » – malgré l'Apothéose d'Homère – n'a rédigé aucun traité, aucun dictionnaire : ses maximes, recopiées par ses élèves, Amaury-Duval ou Henri Delaborde, sont devenues des règles de vie. Amaury-Duval, plus que l'évangile ingriste, apporte avec ce livre, – biographie collective d'un milieu artistique cohérent, – une pierre importante à l'histoire de l'édification littéraire de la figure du grand artiste – une histoire commencée à la Renaissance avec Giorgio Vasari dans les Vite... et l'autobiographie de Benvenuto Cellini. C'est dans cette lignée, en pleine époque de redécouverte des primitifs italiens, que s'inscrit l'ouvrage : comme L'Atelier de Courbet (1855, musée d'Orsay, Paris), il se veut la peinture d'une société tout entière.

Itinéraire d'un élève

Le récit, à la première personne, s'étend sur onze ans, de 1825 à 1836, prolongé par des anecdotes concernant la période ultérieure. Le plan est peu marqué, divisé en vingt-sept chapitres ponctués de dialogues, comme dans une conversation, le but étant de « faire connaître surtout les sentiments intimes et les préceptes du grand artiste ».

<it>La Petite Baigneuse</it>, J. A. D. Ingres - crédits :  Bridgeman Images

La Petite Baigneuse, J. A. D. Ingres

À partir de 1825, jusqu'à son départ pour l'Italie en 1834, lorsqu'il devint directeur de l'Académie de France à Rome, Ingres dispose à Paris d'un atelier privé, proche de l'École des beaux-arts, où ses nombreux élèves le vénèrent comme un chef incontesté : Henri Lehmann, Raymond Balze, Hippolyte Flandrin, Victor Mottez, Théodore Chassériau, qui « trahira » Ingres pour Delacroix... Selon Daniel Ternois, 256 élèves ont été formés par Ingres. Ce « studio » s'inscrit dans la tradition des grands ateliers qui ont compté dans l'histoire de la peinture : celui de Rembrandt, étudié par Svetlana Alpers, celui de David, étudié par Thomas Crow, des creusets paradoxaux où la personnalité du maître se forge au contact de ses cadets.

Ingres prône le primat du dessin, le travail d'après modèle, conseille à ses élèves de copier Raphaël ou Titien, mais pas Rubens, il leur fait découvrir les artistes italiens cités par Vasari, souhaite développer chez eux le goût pour la peinture murale, que lui-même ne pratiqua que peu, à Dampierre, au prix de grandes difficultés. Ingres ouvre rarement son atelier personnel. Amaury-Duval parle de « mesquinerie » à ce propos. Ingres répond : « Ingristes, ingresques, je n'ai formé que des ingrats. » Ces incompréhensions entre maître et élèves constituent la trame des journées d'atelier, plus complexe et subtile qu'il n'y paraît. Le maître n'est pas toujours paternel, ex cathedra, ni les élèves passifs, groupés au pied de l'estrade[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Média

<it>La Petite Baigneuse</it>, J. A. D. Ingres - crédits :  Bridgeman Images

La Petite Baigneuse, J. A. D. Ingres

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  • ATELIER, art

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    • 9 médias
    ...portatif. Quant à l'enseignement, il est abusif et souvent lointain. Le maître ne travaille plus devant ses élèves. Enseignement et création sont séparés. L'un des témoignages les plus vivants de cette atmosphère nous est donné par L'Atelier d'Ingres d' Amaury Duval. Malgré toute la vénération...