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L'ATELIER et RÊVER PEUT-ÊTRE (mises en scène G. Bourdet, J.-M. Ribes)

Jean-Claude Grumberg - crédits : Michel Monteaux/ Opale/ Leemage/ Bridgeman

Jean-Claude Grumberg

Juif et orphelin, orphelin parce que juif – son père est mort en déportation –, Jean-Claude Grumberg, né en 1939, n'a jamais surmonté le traumatisme de cette disparition. « Si je pouvais être heureux, je le serais aujourd'hui », déclara-t-il en mai 1999, alors que pour L'Atelier un molière lui était décerné, qu'il dédiait à sa mère. Que son sort ait été largement partagé, et vécu comme un scandale et la honte de l'humanité par ceux-là mêmes qui étaient épargnés, fait d'une expérience individuelle le miroir où hommes et femmes de la génération de l'auteur voient se réinscrire leur passé le plus sombre. Si L'Atelier touche également de plus jeunes, pour qui la Shoah, après plus d'un demi-siècle, appartient à la nuit des temps, c'est qu'ils peuvent voir encore se manifester nombre de ses effets pervers et resurgir, sous des formes à peine différentes, les haines religieuses ou ethniques et les massacres d'innocents. Et puis, que d'humanité chez ces petites gens assumant avec courage la sortie difficile d'un temps d'épreuves ! Jean-Claude Grumberg sait nous les rendre présents et fraternels, sans trace de sensiblerie et même avec une certaine drôlerie parfois ! Créée en 1979, la pièce a franchi sans dommage le laps de temps – vingt années – qui correspond, pour beaucoup, à un séjour au purgatoire dont elles ne sortent pas toujours.

Dans L'Atelier (mise en scène de Gildas Bourdet au théâtre Hébertot à Paris), Jean-Claude Grumberg évoque sa mère sous les traits de Simone. Avant la guerre, elle travaillait avec son mari, tailleur juif roumain et sans-papiers : maintenant, elle a trouvé à s'employer comme finisseuse, dans l'atelier de confection de Léon, un juif polonais qui, de fausses identités en planques, sut échapper aux rafles. La Libération venue, il s'est réinstallé et emploie six ouvrières, un presseur, deux mécaniciens. Ses empoignades avec Max, le grossiste qui lui passe commande, donnent lieu à d'inénarrables prises de bec. À longueur de journée, on s'active, on tire l'aiguille, on papote ou on se chamaille ; et Simone, comme les autres, rit aux boutades assez raides de Mimi, fille du peuple boute-en-train (Marie-Christine Orry). Mais c'est toujours sur un fond de tristesse. Si son espoir de voir réapparaître son mari déporté, donné pour disparu, s'amenuise, elle veut être fixée sur son sort et s'épuise en démarches. « Le plus dur, c'est de pas savoir. » Un soir, alors qu'ils sont restés à travailler, le presseur, un ancien déporté, se résout à lui faire entendre ce qu'il est advenu de son mari. Que Simone ait ou non compris, il ne reviendra pas à l'atelier, car il ne pourrait plus soutenir sa vue. La scène, menée avec infiniment de pudeur, est des plus émouvantes dans sa sobriété. Gildas Bourdet évite le naturalisme par la vivacité du rythme et le relief donné aux foucades de Léon, emporté mais généreux (l'excellent acteur polonais Wojciech Pszoniak). Un quotidien sans horizon, certes, mais lesté d'histoire par la présence de Simone, que joue avec finesse et sensibilité Marianne Epin.

L'Atelier (1979) et Rêver peut-être (1998) se situent aux deux extrémités du parcours de celui qui se vit comme orphelin à jamais. Zone libre a été écrit dans l'intervalle (1990). On avait envoyé là, pour le mettre à l'abri, l'enfant Jean-Claude et son frère. Trop jeune alors pour avoir des souvenirs précis, il les a fantasmés, mais déclare que c'est à ce moment que lui est venu le remords de vivre, lui qui fut épargné, et de n'avoir « ni cherché, ni pleuré, ni vengé » son père. Rêver peut-être (représenté au théâtre du Rond-Point à Paris après sa création au CADO, Centre d'art dramatique d'Orléans)[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, critique dramatique de Regards et des revues Europe, Théâtre/Public, auteur d'essais sur le théâtre

Classification

Média

Jean-Claude Grumberg - crédits : Michel Monteaux/ Opale/ Leemage/ Bridgeman

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