L'AUTRE MONDE OU LES ÉTATS ET EMPIRES DE LA LUNE, ET LES ÉTATS ET EMPIRES DU SOLEIL, Savinien Cyrano de Bergerac Fiche de lecture
L'Autre Monde ou les États et Empires de la Lune, de Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), rédigé vers 1650, a d'abord circulé sous forme manuscrite, avant de paraître après la mort de l'auteur, en 1657, mais modifié au regard des manuscrits retrouvés, qui datent de 1653 environ. Le Bret, ami de l'auteur et éditeur de l'écrit libertin, ne souhaitait pas affronter la censure. Cette première publication se terminait avec l'idée qu'il y aurait une suite. Mais ce n'est qu'en 1662 qu'un éditeur anonyme publia un texte, dont on est certain, là aussi, qu'il fut expurgé, mais qui reste infiniment explosif : Les États et Empires du Soleil.
Les États et Empires de la Lune
Sous les couleurs d'une Histoire comique (titre donné par l'éditeur du texte posthume, en 1657), donc du genre littéraire le moins codifié qui soit, Cyrano convie son lecteur à un récit de voyage parfaitement hétérodoxe, régulièrement interrompu par des propositions fantaisistes qui développent des arguments capables de miner durablement les vérités et les croyances au nom d'une liberté matérialiste. Dans le même temps, cette histoire se réfère clairement à Lucien de Samosate et à son Histoire véritable et à l'anglais Francis Godwin (L'Homme dans la Lune, 1638, traduit en 1648), pour l'effet fictionnel de déplacement, mais surtout aux connaissances scientifiques du temps. Géographiques tout d'abord : Les États, empires, royaumes et principautés du monde de Pierre Davity (1625), fournit la trame du roman. Scientifique et philosophique ensuite : le voyage cosmique, cette imagination en actes, n'est valide que s'il est en accord avec les théories de Galilée. Il faudra donc que le personnage se déplace de manière romanesque, comique et scientifique, à la fois dans l'univers (d'un point de la Terre à un autre, de la Terre à la Lune, puis de la Terre au Soleil) et dans les représentations possibles et contradictoires de l'ordre du monde, et surtout dans celles qui choquent les traditions établies.
Le récit d'aventures est rédigé à la première personne. Au tout début des États et Empires de la Lune, le personnage-narrateur, sur une route proche de Clamart, au sud de Paris, déclare, en regardant la Lune, que cet astre « est un autre monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune ». Le narrateur décide d'aller vérifier la chose, et part expérimenter sa vision de l'autre monde (ou des nouveaux mondes possibles) en attachant à ses vêtements des fioles de rosée qui, attirées par la chaleur du Soleil, le propulsent dans le ciel et le transportent non point sur la Lune mais en Nouvelle-France (la Terre tourne durant son élévation). Là, il doit se justifier de sa manière à la fois burlesque, poétique et scientifique de voyager auprès de ceux qui le soupçonnent de magie – en particulier le vice-roi et les Jésuites. Voulant détruire sa « machine » par l'explosion de fusées, il se trouve à nouveau propulsé dans le ciel, et finit par se poser sur la Lune, un astre évidemment habité, comme Francis Godwin, John Wilkins et Pierre Borel le supposaient.
C'est là que tout s'inverse. Car, sur la Lune, on appelle la Terre la Lune, les vieux obéissent aux jeunes, la virginité est un scandale. Le suicide, infiniment recommandable, se fait en cérémonie : on y boit le sang du suicidé, et on s'accouple ensuite pour que le mort revive dans les enfants qui naîtront. Assisté du démon de Socrate qui lui traduit le langage lunaire, le narrateur y débat de tout – mœurs, nature, croyances – sans préjugés. Romanesque, vision, imagination, réalité, expérimentation scientifique et ironie se mêlent alors pour enquêter sur le monde, les hommes et la matière.
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
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