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L'AUTRE MONDE OU LES ÉTATS ET EMPIRES DE LA LUNE, ET LES ÉTATS ET EMPIRES DU SOLEIL, Savinien Cyrano de Bergerac Fiche de lecture

Les États et Empires du Soleil

Au début des États et Empires du Soleil, le narrateur Drycona, (anagramme de Cyrano) est pourchassé par le parlement de Toulouse qui veut l'envoyer au bûcher au motif qu'il pratique la sorcellerie, alors qu'il ne fait que penser librement. Il est également poursuivi pour avoir écrit Les États et Empires de la Lune. Ce qui permet à Cyrano, en jouant de cette intertextualité, de mettre en scène sa propre persécution et de revendiquer la force polémique de ses ouvrages. Drycona erre donc dans les alentours de la Ville rose, échappe à la populace déchaînée, se fait gueux, voire picaro, avant de poursuivre son voyage, sous une forme nettement plus initiatique. Car il s'agit, durant ce parcours, de se libérer des traditions dogmatiques en explorant les mondes possibles, tout en gardant la distance de l'ironie, si bien que la quête de la vérité se transforme en déstabilisation de tout énoncé de vérité. C'est donc un regard nouveau, frôlant l'utopie, qui, via l'imagination et via la Lune, puis le Soleil, est posé sur notre monde.

Cette fois, pour se rendre sur le Soleil, le narrateur imagine une machine spatiale, constituée d'une boîte percée en haut et en bas, et surmontée d'un vaisseau de cristal qui a forme de globe. Sur le Soleil, les oiseaux, les arbres, les fruits savent raisonner et les choux revendiquent une âme. Les oiseaux, athées impénitents, ont peur des étrangers et haïssent la guerre. Ils regardent les coutumes des hommes avec naïveté et clairvoyance, s'étonnant de leur servitude et de l'oppression tant familiale que politique et religieuse que ceux-ci souhaitent et supportent. Les volatiles, qui n'ont pas lu la Bible, en viennent à contester la supériorité de l'homme sur les animaux, et la singularité de l'espèce humaine dans le règne naturel.

Cette visite aux États du Soleil, qui en appelle tout à la fois à Descartes, Campanella et Gassendi, est-elle le fruit d'une imagination déréglée, celui d'une expérience philosophique, ou bien littéraire ? Elle dessine d'abord la figure d'une émancipation, l'apprentissage de la liberté à travers la recherche d'une science de l'homme fondée sur l'énergie de la matière, sur le désir de sentir et d'être, profondément, homme. Pour Cyrano, l'imagination est un merveilleux plaisir en même temps qu'une rigoureuse expérience. Mais c'est aussi un plaisir sans préjugés, et sans Dieu. On comprend que cette pensée, nouvelle, libertine, polémique et infiniment séduisante, ait été très longtemps combattue et qu'elle soit encore, trop souvent, minimisée par la critique.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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