L'AVARE, Molière Fiche de lecture
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Plaute à la mode des années 1660
Pour concevoir sa comédie, Molière aurait pu s’inspirer de multiples pièces italiennes et espagnoles sur des sujets approchants ; mais après Amphitryon (1668), il choisit de s’inspirer une nouvelle fois de l’auteur classique qu’est Plaute. Une telle option s’explique en partie par l’actualité éditoriale : en 1658, l’abbé de Marolles a donné une nouvelle traduction de l’Aulularia. De son modèle, Molière reprend la dramaturgie – un vieillard avaricieux qui souhaite marier sa fille à un homme riche – et un caractère, celui d’Harpagon, sa folie de l’argent et son obsession pour sa cassette (une marmite remplie d’or chez Plaute).
Il modifie en revanche largement les mécanismes et les enjeux d’un ouvrage trop éloigné du public des années 1660. Il emprunte pour cela des formules dramaturgiques aux scénarios de la commedia dell’arte et des pièces françaises. Le fait qu’Harpagon ait une mauvaise toux, par exemple, est une caractéristique typique de ce personnage. De même, l’idée de Valère qui se fait domestique pour gagner la confiance d’Harpagon est empruntée aux scenarii italiens ; et le même Harpagon, amoureux de la jeune Mariane, résonne avec le motif éculé de la nouvelle de Paul Scarron, « La Précaution inutile », dont Molière s’était déjà inspiré dans L’École des femmes. Enfin, le thème de l’avarice offre l’occasion de grands numéros comiques, tel le grand souper de l’acte III, lors duquel les domestiques d’Harpagon doivent composer un festin sans aucun moyen.
L’autre caractéristique majeure de la pièce tient à la forme particulière de sa prose. L’annonce de la pièce dans la Lettre en vers,hebdomadaire de Charles Robinet de Saint-Jean, insiste en effet sur une « prose » qui « est si théâtrale,/ Qu’en douceur les vers elle égale ». De fait, elle obéit, selon les scènes, à une composition syllabique. Les dialogues amoureux et galants entre Valère et Élise sont ainsi construits sur des segments de six, huit, dix et douze syllabes, reprenant le modèle et les rythmes de la poésie galante contemporaine.
En comparaison du prestige et de la célébrité dont jouit aujourd’hui L’Avare, on s’étonne que la pièce ne rencontre qu’un succès modéré lors de sa création, même si elle fut représentée à Saint-Germain-en-Laye peu de temps après sa création. Comment expliquer ce décalage ? Une hypothèse probable est qu’il manque à L’Avare un argument publicitaire fort, capable de susciter l’engouement du public et de l’amener au théâtre, qui plus est au Palais-Royal, plutôt qu’à l’Hôtel de Bourgogne ou au théâtre du Marais. Or le titre ne repose pas sur un terme polémique, comme celui des Précieuses ridicules. Le sujet, s’il est d’actualité, ne prête pas à controverse comme L’École des femmes ou, plus encore, Le Tartuffe. Enfin, la pièce ne promet pas des machines spectaculaires comme Le Festin de pierre ou Amphitryon. Le succès mitigé de L’Avare est peut-être aussi l’histoire d’une concurrence et d’une surenchère publicitaire qui, bien avant les médias de masse, contrôlent déjà la production et le succès d’un ouvrage. Reste que, dès l’année suivante, on trouve des adaptations en nouvelles de la pièce et des tentatives d’imitations, signes que L’Avare a d’emblée marqué son public.
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Écrit par
- Christophe SCHUWEY : maître de conférences, université Bretagne sud, Lorient
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Autres références
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MOLIÈRE (1622-1673)
- Écrit par Claude BOURQUI
- 7 627 mots
- 7 médias
...d’exploration intense sur le plan esthétique. D’une part, Molière tente diverses formules, de la comédie à portraits mondains (Le Misanthrope, 1666) au « réalisme » de L’Avare (1668). D’autre part, il met sur pied des spectacles exigeants du point de vue de la machinerie, comme, en 1665, ...