L'ÉCOLE DE PARIS 1904-1929, LA PART DE L'AUTRE (exposition)
Après avoir montré au début de l'année 2000 le rôle moteur des artistes français dans l'éruption du fauvisme et son expansion en Europe, le musée d'Art moderne de la Ville de Paris entendait nuancer cette image en mettant en évidence, pour une période allant de 1904 (arrivée de Picasso à Paris) à 1929 (début de la crise économique), la part des « étrangers » dans ce qu'il est convenu d'appeler l'École de Paris. Cette appellation fut lancée en janvier 1925 par le critique André Warnod pour désigner les artistes indépendants, tant français qu'étrangers, qui faisaient de Paris un des centres de la modernité. Néanmoins, la formule ne devait bientôt recouvrir que les seuls étrangers, pour des raisons souvent liées au retour à l'ordre et à la montée de la xénophobie. S'en tenant à cette dernière définition, l'exposition L'École de Paris 1904-1929, la part de l'autre, présentée du 30 novembre 2000 au 11 mars 2001, ne défendit en rien ces jugements douteux, si bien que certains éditoriaux lui reprochèrent de jouer la carte du « politiquement correct ».
Du point de vue de l'histoire de l'art, ce parti pris de « l'autre » avait le défaut de tronquer l'École de Paris de ce qui revenait aux artistes français. Car la richesse de l'École de Paris ne résidait-elle pas justement dans l'échange, comme l'atteste la cordée Picasso-Braque, sans laquelle le cubisme ne serait pas. Les directeurs de la revue Montparnasse en sont conscients comme en témoigne une lettre de novembre 1921 : « Nous nous plaçons au-dessus de toutes les frontières et qu'un camarade soit juif, russe, nègre, chinois ou français, que nous importe ? L'originalité de Montparnasse est précisément d'attirer tous les artistes du monde dans la grande communauté française. Leurs camarades français, d'ailleurs, vivent dans la meilleure intelligence avec eux. C'est peut-être le seul endroit du monde où une véritable république internationale des lettres et des arts existe... »
L'exhaustivité n'est pas toujours un atout, et une approche bien définie, même restrictive, peut être le gage de la réussite d'une exposition. La démonstration proposée par les commissaires de L'École de Paris, qui opposaient à l'exclusion française la pluralité des communautés étrangères ainsi que la diversité et la richesse des styles à l'honneur dans la capitale sur près de trois décennies, a été concluante. La figure, récurrente chez Picasso, de l'Arlequin, avec son manteau multicolore, ouvrait symboliquement l'exposition. Une large place était ensuite faite à la fascination des « primitivismes » partagée par Brancusi, Modigliani, Zadkine, Archipenko, ainsi qu'à la déferlante des « cubismes », qui emportait Juan Gris, Diego Rivera, Alexandra Exter, Vladimir Baranoff-Rossiné sans oublier le cubisme « surnaturel » de Chagall, le futurisme de Gino Severini ou l'abstraction de Kupka ou de Mondrian.
On soulignera la place inhabituelle accordée dans cette section à la sculpture dans cette exposition ainsi que le soin apporté à sa présentation ; en revanche, on regrettera le traitement trop rapide accordé à l'abstraction. En dépit de l'internationalisation de l'avant-garde derrière laquelle semblait s'effacer tout particularisme national, la section suivante, « Traditions et modernité », rappelait que ces artistes immigrés aussi éprouvaient la nécessité de revenir à leur culture d'origine : culture hébraïque pour Chagall, Kisling, Chana Orloff, Marek Szwarc, culture d'Amérique latine pour Rego Monteiro, etc. Prenant activement part à la vie culturelle et artistique de la capitale, ces artistes sont les auteurs de « l'invention de Paris » à travers, d'une part, la Nouvelle Vision pratiquée par des photographes[...]
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Écrit par
- Isabelle EWIG : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média