L'ÉCOLE DES FEMMES, Molière Fiche de lecture
Une subversion religieuse, morale et littéraire
Le décor et le contexte de L'École des femmes sont à la fois parfaitement conventionnels et radicalement contemporains : « la scène est dans une place de ville », autrement dit dans le lieu carrefour de la comédie, et dans la ville des années 1660, Paris, capitale de la galanterie et dans le même temps dominée par la puissance patrimoniale. C'est ainsi que l'opposition topique de la comédie (les vieux contre les jeunes) prend un sens tout à fait contemporain : les jeunes gens, dont la galanterie et l'amour sont naturels, ne peuvent qu'affronter le monde des vieux où rien n'est véritablement aimable, où tout est contrainte – en particulier l'éducation –, réclusion et obligation ; un monde sans liberté pour les femmes, sans jeu et surtout sans plaisir : « Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage./ À d'austères devoirs le rang de femme engage,/ Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends,/ Pour être libertine et prendre du bon temps. »
Une question majeure se pose alors : faut-il instruire les femmes, ou faut-il les éduquer à obéir et à admettre que « du côté de la barbe est toute la puissance » ? faut-il tenir compte de leur nature, autrement dit de leur aptitude au plaisir, ou bien faut-il s'appuyer sur la morale des pères et sur la religion pour les tenir dans leurs devoirs de femmes bientôt mariées ?
La grande scène (III, 2) où Arnolphe lit à Agnès Les Maximes du mariage ou les devoirs de la femme mariée, avec son exercice journalier devient un enjeu idéologique intéressant, lorsqu'on sait qu'un comédien, par définition excommunié et réputé amoral par sa fonction et par sa vie, serine une parodie de directives spirituelles et morales – si courantes à l'époque – pour les rendre ridicules. Quel peut donc bien être « l'exercice journalier » des devoirs d'une femme mariée ? Que peut être le « péché mortel » dont Arnolphe menace Agnès, dès lors qu'il devient un instrument, au service d'un faux père, vieux garçon de quarante-deux ans, et vrai tyran domestique ? Enfin, que sont ces « chaudières bouillantes/ Où l'on plonge à jamais les femmes mal vivantes », sinon des reprises de sermons dits par des « bonnes âmes » qui ne cessent de comparer, à l'endroit des femmes, le mariage au couvent, et de les assujettir au nom de la religion ? On comprend que le scandale religieux, moral et littéraire advienne.
Sur le plan littéraire, Molière lie la farce et la comédie sérieuse, le quiproquo et la question matrimoniale ; sur le plan stratégique, il prend place dans l'horizon théâtral du temps, et s'oppose de fait au théâtre officiel, c'est-à-dire aux Grands Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne ; sur le plan moral, il soutient le naturel contre la morale frelatée et archaïque des « pères » ; enfin, sur le plan religieux, il entame sa longue lutte libertine contre la religion, ce que la « vieille cour » d'Anne d'Autriche remarque immédiatement. Se fondant sur le fait que la « jeune cour » de Louis XIV, depuis 1661, ne fait que croître, que les mœurs y sont plus ouvertes, enfin que Louis veut gouverner par lui-même, Molière fait ici à la fois œuvre de courtisan et de jeune auteur.
La pièce donne immédiatement lieu à des libelles, à des réponses et à des pièces jouées par les deux troupes, celle de Molière et celle des Grands Comédiens. La querelle de L'École des femmes peut donc commencer. Dans ce dossier, on notera particulièrement La Critique de « L'École des femmes » (1er juin 1663), composée par Molière en réponse à la critique de la pièce par le journaliste littéraire Donneau de Visé dans les Nouvelles nouvelles (9 février 1663). La violence de la querelle est extrême. Les arguments ad hominem[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
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