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L'ENCRE DE LA MÉLANCOLIE (J. Starobinski) Fiche de lecture

Jean Starobinski (1920-2019), a commencé sa carrière par une licence ès lettres classiques et des études de médecine. L'interne à la Clinique de thérapeutique de l'hôpital cantonal universitaire de Genève projeta une thèse sur la dénonciation du masque et les rapports entre « être » et « paraître ». Cette double activité, littéraire et médicale, se poursuivit à l'université Johns Hopkins de Baltimore (1953-1956) où, professeur, il enseigna la littérature française et travailla à l'Institut d'histoire de la médecine. Par la suite, Jean Starobinski fut interne à l'hôpital psychiatrique universitaire de Cery, près de Lausanne, avant d'enseigner l'histoire des idées à l'université de Genève. C'est dire si, chez cet écrivain humaniste, médecine, philosophie, littérature et psychopathologie furent toujours entremêlées. Ce dont témoigne la somme de L'Encre de la mélancolie, qui rassemble plus de cinquante années de travaux sur ce concept occidental.

Une histoire de la bile noire

Le premier des six chapitres reprend, dans son état original, une « Histoire du traitement de la mélancolie », thèse déposée en 1959 à la faculté de médecine de l'université de Lausanne. À l'époque, l'étudiant désirait faire l'historique de la dénonciation du mensonge. Car la mélancolie a deux visages, l'un de paranoïa morbide et l'autre d'agressivité satirique : le manteau noir du mélancolique dissimule un dénonciateur de tous les masques. Construite en triptyque, la thèse offre un diagnostic diachronique de la mélancolie (symptômes et remèdes) depuis « les maîtres antiques » : Homère, les écrits hippocratiques et la description de l'humeur noire chez Celse ou Galien, jusqu'à « la psychothérapie de soutien » d'un Sénèque opposant « à la fluctuation malheureuse de l'âme inquiète et qui se sent mal partout, [...] l'idéal d'une vie mouvante et variée ». Le second volet mesure « le poids de la tradition » dans la définition et le traitement de cette pathologie, en réfléchissant tout d'abord sur l'acedia, mal spirituel qui éteint l'âme du moine ou du solitaire et dont le remède sera le travail valorisé dans la vie monastique. L'auteur se tourne aussi vers Hildegarde de Bingen, Constantin l'Africain, les écrivains de la Renaissance (Paracelse, Marsile Ficin), époque où la mélancolie, apanage de l'artiste et du philosophe, connut son âge d'or. S'il la dégage des « vapeurs » du xviie, c'est pour mieux en pointer les « survivances » d'ignorance chez les thérapeutes du passé aussi bien que dans nos psychothérapies modernes, avant de discerner chez Anne-Charles Lorry (1765) un passage de la conception ancienne de la psychiatrie à une conception moderne. Le dernier volet met à jour les « nouveaux concepts » qui apparaissent aux xviiie et xixe siècles. La bile noire laisse place au délire ou à l'hypocondrie, trouvant des remèdes dans la rééducation morale, le Grand Tour des romantiques, l'établissement thermal, la musique ou le traitement familial. Au vrai, la thèse de Starobinski montre les tâtonnements et les contradictions dans la définition et le traitement de la mélancolie, au fil des siècles.

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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