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L'ENFANT ET LA VIE FAMILIALE SOUS L'ANCIEN RÉGIME, Philippe Ariès Fiche de lecture

Avec cet ouvrage paru en 1960, Philippe Ariès (1914-1984) poursuit de façon novatrice un programme de recherches qui, initié dès 1948 avec son Histoire des populations, s'achèvera sur les monumentaux travaux consacrés à la mort (Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, en 1975 ; L'homme devant la mort, en 1977 ; Images de l'homme devant la mort, en 1983) et à la sphère domestique (Histoire de la vie privée, entre 1985 et 1987, en codirection avec G. Duby). En élargissant l'horizon de l'historien aux mœurs, à la culture et aux représentations, Philippe Ariès entend rompre avec les conceptions positiviste et événementielle de l'histoire. Son travail sur les représentations de l'enfance, du Moyen Âge à l'époque moderne, le conduit à remettre en cause la permanence de la catégorie « enfance », à la fois comme sentiment et comme moment objectivement différencié de l'âge adulte. Selon lui, le Moyen Âge ignorerait la spécificité de l'enfant, socialement considéré comme un petit adulte. C'est seulement à l'époque moderne qu'apparaissent progressivement la spécificité de cet âge et l'intérêt particulier qu'il suscite. Dans cette perspective, Philippe Ariès considère l'enfance non plus comme une donnée naturelle mais comme une construction sociale.

La construction sociale de l'enfance

Au sein du monde social, les catégories liées à la famille tendent à être présentées comme « naturelles », immuables et transhistoriques. L'effort entrepris par Philippe Ariès, en inscrivant la notion d'« enfance » dans une histoire des mentalités, lui permet de formuler de nouvelles hypothèses sur l'évolution des structures familiales entre le Moyen Âge et le xviiie siècle, et de présenter sous un jour nouveau les structures contemporaines de la famille.

Des trois parties qui composent l'ouvrage, la première, intitulée « Les Deux Sentiments de l'enfance », est sans nul doute la plus stimulante. Le « sentiment de l'enfance, précise Philippe Ariès, ne se confond pas avec l'affection ; il correspond à une conscience de la particularité enfantine ». Celle-ci, selon l'auteur, n'est pas reconnue dans la société médiévale. « Dès que l'enfant avait franchi cette période de forte mortalité où sa survie était improbable, il se confondait avec les adultes », réalisant son apprentissage à la faveur de cette promiscuité des âges. Au tout début de son existence, il fait l'objet d'un sentiment superficiel exprimé par le « mignotage » des mères et des nourrices, sa naïveté, sa gentillesse et sa drôlerie devenant sources d'amusement et d'attention. L'art, l'iconographie et certaines pratiques sociales (costumes spécifiques réservés à l'enfance et spécialisation des jeux) en témoignent. Un changement considérable s'opère avec le xviie siècle, un sentiment plus grave de l'enfance se faisant jour sous l'influence des hommes d'église et des moralistes. Le remplacement de l'apprentissage par l'école fait progressivement apparaître la catégorie de l'enfant, confié à des adultes et qui demande tout à la fois à être protégé et à être corrigé. La police des mœurs motive alors l'intérêt porté à l'enfant, à sa personnalité et à l'austère dispositif éducatif de sa correction qui a pour fonction d'en faire un homme de devoir et de vertu.

Dans la deuxième partie, Philippe Ariès montre de quelle façon la transformation des collèges et la mise en œuvre d'une éducation correctrice pour les enfants de la noblesse et de la bourgeoisie sont liées à l'apparition du sentiment de l'enfance. Le collège médiéval, caractérisé par une définition floue de l'instruction et de ses missions,[...]

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Écrit par

  • : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne

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