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L'ÈRE DU SOUPÇON, Nathalie Sarraute Fiche de lecture

L'Ère du soupçon est un recueil de quatre articles publiés par Nathalie Sarraute (1900-1999) entre 1947 et 1956, année de sa parution aux éditions Gallimard. Cet essai, contemporain des débuts de ce qu'on nommera plus tard la « nouvelle critique » (représentée par Roland Barthes ou Maurice Blanchot) mais aussi des premiers romans d'Alain Robbe-Grillet, de Michel Butor ou de Claude Simon, est généralement considéré comme le premier manifeste du « nouveau roman » (Pour un nouveau roman de Robbe-Grillet ne paraîtra qu'en 1963). Il constitue surtout un témoignage sur les débats littéraires en cours dans les années de l'après-guerre, en même temps qu'un document sur la naissance d'une œuvre considérable.

« Le génie du soupçon est venu au monde » (Stendhal)

Le premier article, « De Dostoïevski à Kafka », a été publié en octobre 1947 dans Les Temps modernes, la revue de Jean-Paul Sartre, lequel allait préfacer Portrait d'un inconnu (1948). Nathalie Sarraute y constate le discrédit dont souffre le roman psychologique, au profit du « roman métaphysique », sous la double influence de la littérature américaine (Steinbeck, Dos Passos) et de la philosophie de l'Absurde représentée par les romans de Kafka et, récemment, par L'Étranger de Camus (1942). Contre cette tendance, Nathalie Sarraute s'attache à démontrer que c'est précisément ce psychologique que Camus « avait cherché à extirper » qui donne son sens à L'Étranger et en fait tout le prix. Quant à l'« homo absurdus » de Kafka, il est l'héritier direct des héros de Dostoïevski, et témoigne en cela moins d'une évacuation de la psychologie, que de son approfondissement.

Le deuxième article, qui donne son titre au recueil, a paru également dans Les Temps modernes, en février 1950. Il décrit la crise dans laquelle est entré le roman « traditionnel », miné par la méfiance – commune à l'auteur et au lecteur – à l'égard du personnage, sous l'effet du temps et de la morne répétition qui l'ont figé dans des stéréotypes incapables, désormais, de « contenir la réalité psychologique actuelle ».

Le troisième article, « Conversation et sous-conversation », refusé par Les Temps modernes en raison de désaccords théoriques, est accueilli dans La Nouvelle revue française en janvier et février 1956. Nathalie Sarraute y poursuit sa critique des formes conventionnelles du roman selon une approche plus technique, en abordant la question du dialogue et de ses relations avec la narration. Prenant appui sur l'art singulier de la romancière anglaise Ivy Compton Burnett, elle redonne crédit à la forme dialoguée, susceptible de mettre au jour, au-delà ou en deçà de la conversation traditionnelle, une véritable « sous-conversation », où se déploient les « actions intérieures » de l'individu.

Enfin, le quatrième article, « Ce que voient les oiseaux », a été rédigé spécialement en janvier 1956 pour le livre à paraître. Son titre s'inspire de la fameuse anecdote des raisins peints par Zeuxis, qui n'offrent aux oiseaux que de pâles copies incomestibles. De même, les romans « traditionnels », qui se contentent d'appliquer des recettes éculées, séduisent d'abord les lecteurs en leur proposant des satisfactions faciles et grossières – et généralement « extra-littéraires ». Mais la « réalité » qu'ils prétendent restituer est digne des « poupées de cire du musée Grévin ».

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