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L'ÈRE DU SOUPÇON, Nathalie Sarraute Fiche de lecture

Pour un renouveau du roman

Écrit par un auteur qui réfléchit sur son activité créatrice, L'Ère du soupçon tient à la fois du manifeste et de l'art poétique. Du premier, il a les idées générales et le ton volontiers polémique, acerbe et ironique ; du second, le propos plus personnel, et la relation intime avec l'œuvre en train de s'écrire.

Il s'agit d'abord – il convient d'y insister – d'un essai sur le roman. Or, si celui-ci n'a jamais cessé d'être florissant sur le plan de la production « commerciale », on connaît l'hostilité nourrie à son égard par les avant-gardes du début du xxe siècle (André Breton, après Paul Valéry). Les années de guerre et de l'immédiat après-guerre, sur fond de surréalisme finissant, sont marquées par un retour à ce genre littéraire, de nouveau investi par les jeunes auteurs. Nathalie Sarraute s'inscrit dans ce contexte : contrairement à ce qu'on a pu croire alors, son propos n'est pas de rupture mais plutôt de rénovation, et sa position somme toute plus réformiste que révolutionnaire. Ainsi le roman se trouve-t-il réhabilité dans L'Ère du soupçon, et, finalement, sous ses aspects les plus traditionnels : psychologie, réalisme, dialogue. À la condition toutefois que les formes anciennes évoluent : que la psychologie renonce aux « types » et délaisse la banale « étude de caractère » ; que le « réalisme phénoménologique » remplace le sempiternel « petit fait vrai » ; que, dans le dialogue, la « sous-conversation » vienne suppléer l'artificielle « conversation »... Ainsi l'écrivain exigeant pourra-t-il rendre ces « tropismes » qui seul intéressent Nathalie Sarraute : « mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir. Ils me paraissaient et me paraissent encore constituer la source secrète de notre existence ». On voit que si, par sa critique d'un certain académisme et son rejet des formes figées, L'Ère du soupçon peut s'inscrire dans le mouvement du « nouveau roman » (qui, au reste, n'en fut jamais vraiment un), dans le détail des analyses et des solutions proposées, il présente un caractère absolument singulier, irréductible à toute généralisation. À cet égard, l'essai éclaire l'œuvre, mais ne se trouve pas moins éclairé par elle, comme l'a souligné l'auteur dans la Préface, en rappelant que la rédaction de Tropismes avait commencé en 1932 !

— Guy BELZANE

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