L'ESPACE INTÉRIEUR (J.-L. Chrétien) Fiche de lecture
Depuis trente ans, et avec une trentaine d’ouvrages écrits dans une langue à la fois belle et toujours exigeante, Jean-Louis Chrétien a bâti une œuvre majeure, sans doute l’une des plus importantes dans le champ philosophique contemporain. Après avoir été reçu premier à la fois au concours d’entrée à l’École normale supérieure et à l’agrégation de philosophie, il enseigne à l’université de Paris-Sorbonne. Là, il s’est affirmé comme un spécialiste reconnu de l’Antiquité classique et tardive. Penseur formé à l’école de la phénoménologie et principal représentant, avec Jean-Luc Marion, d’une philosophie qui unit foi catholique et rationalité conceptuelle, il s’attache dans son œuvre à des actes de parole liés à la tradition chrétienne (prier, promettre, répondre) en conférant une importance particulière à l’affect (la joie, la fatigue, l’effroi lié à la beauté), ce qui le conduit à fonder une phénoménologie de la parole où l’appel à répondre devient premier.
Dans la chambre du cœur
Une telle dimension responsive de la pensée, présente dans tous les livres d’un philosophe qui est aussi poète, se laissait lire dans son ampleur comme dans son acuité dans le précédent ouvrage de Jean-Louis Chrétien. Les deux tomes de Conscience et roman (La Conscience au grand jour, 2000, et La Conscience à mi-voix, 2011) avaient magistralement dessiné, autour de la question du monologue intérieur, « l’exposition de ce qu’il y a de plus secret », à savoir le cœur humain, caché dans les replis de l’intériorité. Si le roman moderne, de Balzac à Beckett, apparaissait comme le meilleur moyen de sonder les reins et les cœurs, l’enquête de Jean-Louis Chrétien se poursuit désormais au sein même de l’intériorité dans ce qu’elle peut revêtir de plus concret en apparence : s’il faut s’approprier un lieu pour l’habiter, il convient aussi de comprendre ce lieu que nous sommes. L’Espace intérieur (Minuit, 2014) désigne par son titre à la fois le lieu de toutes les réclusions de l’âme et celui où le vide peut être habité. Jean-Louis Chrétien s’attache aux différents procès de métaphorisation spatiale (chambre, temple, maison, etc.) qui ont permis à la tradition occidentale de se figurer un tel espace intérieur.
L’enquête s’ouvre sur l’expression « chambre du cœur » (cubiculumcordis), forme de longue durée qui, des Pères de l’Église aux romanciers du xixe siècle, a permis d’organiser la représentation de l’intériorité conçue comme « le lieu de l’intime où l’on se retire en soi et s’isole du dehors et du monde social ». Lieu secret, véritable crypte, cette chambre est conçue dans la tradition issue de l’Évangile comme un espace où le sujet isolé n’est pas solitaire car il y accueille la présence de Dieu, notamment par la pratique de la prière. Le secret n’en est plus véritablement un dans la mesure où Dieu « voit dans le secret », ce qui établit un lien direct avec ce que Jean-Louis Chrétien avait appelé « cardiognosie » dans Conscience et roman.
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Écrit par
- Marc CERISUELO : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée