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L'ESPACE LITTÉRAIRE, Maurice Blanchot Fiche de lecture

Vers l'« autre nuit »

Ainsi, prenant appui sur l'expérience de l'autre, il suit le chemin où la nuit le conduit. Avec les pages du chapitre v (« L'Inspiration ») intitulées « Le Regard d'Orphée », le livre atteint son point de non-retour, ce « centre qui l'attire, qui se déplace par la pression du livre [...] qui se déplace en restant le même... ». À travers une lecture de la descente d'Orphée aux Enfers, en quête d'Eurydice, l'écrivain retrouve cette improbable condition de l'artiste entièrement absorbé par son œuvre, contraint de s'y livrer quel qu'en soit le danger. L'approche de « l'autre nuit » – cette nuit qui garde l'obscurité de la nuit, qui se fait « apparition du „tout a disparu“ » – traduit l'attente de l'œuvre, en décrit le mouvement. Une telle approche ne part de rien d'autre que de l'insondable profondeur de cette nuit interdite qui donne sa seule réalité à l'œuvre. Elle ne va nulle part, si ce n'est vers le lieu de sa provenance, puisque l'œuvre n'apparaît qu'en se fondant dans l'abîme de son origine. Il s'agit bien alors d'une expérience risquée, qui ne prend appui sur rien de tangible : écrire, précise Blanchot, c'est se plier à ce « mouvement par lequel l'œuvre tend vers son origine, ce centre où seulement elle pourra s'accomplir, dans la recherche duquel elle se réalise et qui, atteint, la rend impossible ».

On suivra pas à pas, dans d'admirables analyses, le jeu de cette fatalité où seule l'inspiration permet à l'écrivain de se dépasser pour se consacrer de fait à l'impossible ; d'écrire avant d'écrire, d'ainsi se glisser dans l'ombre de la mort et de trouver son salut dans un élargissement de la vie à l'œuvre... On constatera combien ces pages font non seulement de L'Espace littéraire un essai sur la création, mais aussi transforment la critique ainsi comprise en un livre de pure littérature.

On retiendra aussi, au cœur de cet élan vital, le besoin de faire le point. Certes, les essais qui composent le chapitre vi (« L'Œuvre et la communication ») prolongent l'implacable méditation qui donne son sens au livre. On y retrouve, toutefois, cette volonté politique de Blanchot d'inscrire le plus fondamental dans l'urgence de l'époque. Dans leur simplicité les titres disent d'ailleurs une certaine vérité du livre. « Lire », « la communication » : traversant « le Oui léger, innocent, de la lecture », l'ouvrage donne toute sa place à un lecteur unique... « Même si elle exige du lecteur qu'il entre dans une zone où l'air lui manque et le sol se dérobe [...], la lecture [...] est présence tranquille et silencieuse, le milieu pacifié de la démesure, le Oui silencieux qui est au centre de tout orage. »

En un ultime retour à « l'expérience originelle » (chap. vii), l'espace littéraire libère, pour ce lecteur, l'espace de la littérature. Tournant la page, reprenant la lecture dans l'attention à la rumeur et au murmure qui en nourrissent le chant, on y découvre un livre dans le livre. La nuit délivre son message : si l'expérience originelle nous parle, le vrai lecteur aura le dernier mot. « Dans l'œuvre l'homme parle, mais l'œuvre donne voix, en l'homme, à ce qui ne parle pas. »

Les textes qui suivent confirment la leçon de la création. Dans la proximité lointaine de Heidegger, une forte méditation sur l'art donne à penser la déchirure de l'homme dans le silence de l'œuvre. Longeant, dans une ultime annexe, « l'itinéraire de Hölderlin », Blanchot retrouve enfin la solitude promise : « cette solitude est l'entente de l'avenir, mais entente impuissante : l'isolement prophétique qui, en deçà du temps,[...]

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