L'ESPÈCE HUMAINE, Robert Antelme Fiche de lecture
Arrêté comme résistant par la Gestapo en juin 1944, Robert Antelme (1917-1990) est successivement interné à la prison de Fresnes, au camp de concentration de Buchenwald, dans le camp de travail (Kommando) de Bad Gandersheim, et enfin transféré à Dachau. C’est là que, fin avril 1945, à la libération des camps, il est retrouvé dans un état lamentable (atteint du typhus, il pèse 35 kg) par François Mitterrand, son ancien chef de réseau. Soigné par son épouse Marguerite Duras – qui évoquera l’attente angoissée du retour de son mari, puis sa lente guérison, dans La Douleur (1985) –, il se rétablit lentement et commence à écrire L’Espèce humaine, récit de cette année de déportation, qui sera son unique livre. Celui-ci paraît une première fois en 1947 aux éditions La cité universelle, fondées par le couple Antelme-Duras, et passe complètement inaperçu. Republié dix ans plus tard chez Gallimard, il est alors reconnu comme l’un des témoignages essentiels sur l'expérience concentrationnaire et la barbarie nazie.
Écrit « à ras de l'essentiel » (Claude Roy)
L'Espèce humaine retrace le plus fidèlement possible, sans pathos ni effets de style, les sept mois vécus par Antelme entre son transfert de Buchenwald vers Bad Gandersheim le 1er octobre 1944 et la libération du camp de Dachau le 30 avril 1945. Divisé en trois parties – « Gandersheim », « La route », « La fin » – de longueurs très inégales correspondant au temps écoulé – six mois, dix jours, treize jours –, le récit se présente, avec ses fréquentes mentions de dates, comme une sorte de journal rétrospectif.
À Gandersheim, Antelme est assez vite envoyé à l'usine censée produire des carlingues d'avion, ce qui est un moindre mal en comparaison des corvées à l'extérieur du zaun-kommando(« le commando des planches »). Les conditions de vie dans le camp n'en sont pas moins épouvantables : « rationnellement privés de nourriture » et réduits à manger des épluchures, dévorés par les poux, atteints pour beaucoup de dysenterie et contraints de faire leurs besoins à la vue de tous, les « copains », principalement des détenus « politiques », sont en outre en butte aux brimades et aux coups des kapos, la plupart condamnés de droit commun, chargés par les SS de les surveiller. Le travail en usine place également Antelme et ses camarades sous l'autorité de civils, qui, à quelques exceptions près, font preuve à leur égard d'une violence qui n'a rien à envier à celle des kapos. Dans cet enfer où la survie est la seule révolte possible (« Militer, ici, c'est lutter raisonnablement contre la mort »), quelques rares moments de grâce surviennent : la complicité silencieuse avec un évangéliste allemand objecteur de conscience, l'évocation de souvenirs autour du poêle la nuit de Noël, une « séance récréative » organisée par un jeune professeur, Gaston Riby, où l'on chante et dit des poèmes…
Début avril, à l'approche des Alliés, les SS décident d'abandonner le camp en emmenant les détenus, après avoir assassiné dans un bois ceux qui étaient trop faibles. La colonne d'environ 450 hommes se met en mouvement pour un long trajet, qui va durer dix jours. Au cours de cette marche épuisante, les hommes qui tombent sont tués aussitôt par les kapos. Les survivants, contraints de manger des biscuits pour chiens, puis de la fécule de pomme de terre, sont tous malades. La colonne erre sans but, et finit par arriver à Bitterfeld. L'ordre est alors donné de les emmener en train jusqu'au camp de Dachau.
Entassés par cinquante dans des wagons, dans un état de faiblesse physique et morale extrême, les hommes qui ne meurent pas finissent par arriver à Dachau le 27 avril, après treize jours vécus dans un état second. Ici, le récit, presque exclusivement au[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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