L'ESPRIT FRANÇAIS. CONTRE-CULTURES, 1969-1989 (exposition)
Un an avant sa fermeture (programmée en octobre 2018), la Maison rouge a offert au public une exposition bilan hors norme, de celles que peu de spécialistes oseraient élaborer.
L’esprit français. Contre-cultures, 1969-1989 (24 février-21 mai 2017) : pareil intitulé, à lui seul, contient plusieurs pièges. Et d’abord celui du concept d’« esprit », des plus malléables. Celui, aussi, de « contre-culture » tant ce terme, dès les années 1950 et 1960 – celles, en Occident, du rock and roll puis du psychédélisme, des provos et du gauchisme –, est sujet à de multiples récupérations. Celui, enfin, de la chronologie. En 1969, le général de Gaulle quitte le pouvoir après l’échec de son référendum. En 1989, le Mur de Berlin s’effondre et bientôt, avec lui, le système des blocs Est et Ouest, alors qu’on vient de célébrer avec faste, sur les Champs-Élysées, le bicentenaire de la Révolution française. Un événement français pour la première de ces dates (1969, « l’année érotique » chantée par Serge Gainsbourg), un événement global venant percuter un événement commémoratif pour la seconde, sans que l’on puisse affirmer que ces deux moments aient eu dans l’instant valeur de rupture, culturellement parlant). Ajoutons que la question de l’esprit « français » se doit d’être posée à propos d’un moment, la période 1970-2000, où la France crée moins d’influences politico-culturelles qu’elle n’en subit, sur fond d’américanisation des modes de vie et, dès avant 1989, de mise en place de la globalisation. La France, nonobstant l’orgueil et la culture effervescente de la contestation, est-elle déjà beaucoup plus qu’une colonie de l’« Empire » ?
Après mai
On saluera, pour piloter cette entreprise, le travail appliqué, intensément documentaire, des deux commissaires de l’exposition, Guillaume Désanges et François Piron, ainsi que leur courage, dans la mesure où l’un et l’autre ne sont pas historiens mais viennent des sphères de l’art contemporain. Il manquait jusqu’à présent, plus qu’une exposition sur la période considérée, une représentation de celle-ci – c’est-à-dire de la culture de la génération dite « post-soixante-huitarde », trop jeune pour Mai-68 et trop vieille pour les reaganomics et la culture Thatcher des années 1980. En voici donc une, pionnière ou peu s’en faut. On n’hésite pas y à appliquer un strict « principe d’équivalence » entre tout et son parfois contraire, au risque du fourre-tout. La gravité des combats contre la violence policière, contre la peine de mort ? Oui, tandis que la causticité et l’ironie mordante trouvent leur consécration avec Hara-Kiri et CharlieHebdo. Le punk ? En effet, il marque la période, en France aussi, en sacralisant de façon primitive l’irrévérence de principe, dans un mélange de provocation et de nihilisme. Sur fond cette fois on ne peut plus austère et déconstructeur d’antipsychiatrie militante et de requalification de la pédagogie institutionnelle, la période est également marquée par le travail de Félix Guattari à la clinique de La Borde et les réflexions poussées sur l’éducation et le statut de l’enfant. L’affirmation féministe ? La création du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), la quête de reconnaissance et de droits des homosexuels ? Elles n’ont pas grand rapport avec le minimalisme post-industriel de Peter Klasen ni le graphisme accumulateur et post-dadaïste de Kiki Picasso et du groupe Bazooka…
L’approche de la période, scolaire mais pas toujours pour le pire, tend ici à l’encyclopédisme, et il est vrai que rien ou presque ne manque à l’étalage, au risque du trop-plein et sans que l’on soit bien sûr que l’évocation de l’« esprit » des soirées du Palace, que l’on veut a posteriori déjantées et irrévérencieuses, ait grand-chose à voir avec le maoïsme tardif ou la lutte des[...]
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Écrit par
- Paul ARDENNE : maître de conférences à la faculté des arts d'Amiens, critique d'art, historien de l'art, écrivain
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