L'ESSENCE DE L'ESPAGNE, Miguel de Unamuno Fiche de lecture
Au cours de l'année 1895, Miguel de Unamuno (1864-1936) publia, dans la revue La España moderna, cinq essais rassemblés, par la suite, dans un volume, sous le titre En torno al casticismo (1902). L'Essence de l'Espagne, le titre donné à ce livre par Marcel Bataillon, dans sa traduction française, dit bien le sujet central de ce tour d'horizon, souvent polémique, autour du casticisme. Le mot casticismo s'applique à tout ce qui constitue « l'âme d'un pays », la casta authentique de l'Espagne. Le livre dresse un constat, amer et désenchanté, de la situation politique et intellectuelle de l'Espagne, à la fin du xixe siècle.
Un « spectacle déprimant »
Le premier essai (« La Tradition éternelle ») explique les termes castizo, casticismo, et dénonce le préjugé selon lequel les « races dites pures, et tenues pour telles, sont supérieures aux races métissées ». Tout prouve le contraire : « Tout croisement de races (castas), où les différences ne prédominent pas trop sur le fond de commune analogie, est source de vigueur nouvelle et de progrès. » Telle est l'idée majeure, qui donne son vrai sens au casticisme et en montre les perversions. Ce premier essai introduit le concept de « l'intra-histoire », substance de l'histoire et expression de la tradition authentique.
Le deuxième essai (« La Race historique : la Castille ») démontre que « le régionalisme et le cosmopolitisme sont les aspects d'une même idée et les supports d'un véritable patriotisme ». L'incitation à « l'européisation » de l'Espagne va de pair avec le souci d'unifier la nation sur le socle de la Castille, car ce fut elle qui « forgea véritablement l'unité et la monarchie espagnoles ». Unamuno célèbre avec magnificence cette région de la Meseta, plateau au centre de l'Espagne, où bat le cœur de la patrie : « Vaste est la Castille ! Et quelle beauté dans la tristesse calme de cette mer pétrifiée et pleine de ciel !... »
Les deux essais suivants (« L'Esprit castillan » et « Mystique et humanisme ») interprètent « l'esprit de la race » de l'Espagne à partir de la littérature ou de grandes figures du Siècle d'or, période d'apogée s'étendant du milieu du xvie siècle à la fin du xviie siècle. L'auteur s'en prend aux images néfastes du « casticisme » qu'illustre le théâtre abstrait de Calderón (1600-1681), auquel il oppose le théâtre de chair et de sang de Shakespeare (1564-1616). Le réalisme de Thérèse d'Ávila, l'envol de l'esprit dans la nuit obscure de Jean de la Croix, l'âme de Fray Luis de León, où s'allie l'ardeur des prophètes à la raison critique, voilà des modèles mystiques issus du xvie siècle pour une quête de plénitude personnelle.
Un essai virulent (« Sur le marasme actuel de l'Espagne ») achève le livre. À la « suprême dissociation espagnole, celle de Don Quichotte et de Sancho Pança, c'est-à-dire de l'idéalisme et du réalisme », s'ajoutent d'autres tares : formalisme sénile, suspicion inquisitoriale, horreur du travail, jalousies. Tout cela compose « le spectacle déprimant de l'état mental et moral de notre société espagnole ». Le diagnostic est sans appel : « L'Espagne reste à découvrir, et seuls des Espagnols européanisés la découvriront. »
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Écrit par
- Bernard SESÉ : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española
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UNAMUNO MIGUEL DE (1864-1936)
- Écrit par Bernard SESÉ
- 1 407 mots
Les cinq essais réunis en 1895 sous le titre En torno al casticismo (L'Essence de l'Espagne) constituent une œuvre capitale. Unamuno y analyse avec une lucidité douloureuse les éléments de l'esprit castillan, la « tradition éternelle » de l'histoire, l'humanisme des mystiques espagnols. Le...