L'ÉTAT DE SIÈGE (mise en scène E. Demarcy-Mota)
Sa passion pour le théâtre, qui se manifesta alors qu’il était encore étudiant à Alger, conduisit Albert Camus tant à adapter des romans à la scène (Requiem pour une nonne, d’après Faulkner ; LesPossédés, d’après Dostoïevski) qu’à écrire des pièces comme Le Malentendu ou Les Justes. Parmi celles-ci, L’État de siège demeure la moins connue et s’inspire dans un tout autre registre de son célèbre roman La Peste(1947). Elle fut commandée par la Compagnie Renaud-Barrault le 27 octobre 1948 et créée au Théâtre Marigny à Paris, dans un décor de Balthus et avec une musique d’Arthur Honegger. L’interprétation était de haut vol : Jean-Louis Barrault, Pierre Bertin, Pierre Brasseur, Maria Casarès, Madeleine Renaud… Pourtant, la programmation fut interrompue au bout de vingt-trois représentations à cause de la désaffection de la presse et du public.
Une fable politique
L’action de L’État de siège se situe à Cadix, à une période indéterminée. Un phénomène cosmique annonce l’arrivée de la Peste dans la ville, jusqu’alors paisible, un homme accompagné de sa secrétaire, la Mort, qui s’est substitué au gouverneur en place en arrachant l’accord officiel de ce dernier. Le nouveau régime applique une réglementation arbitraire et absurde, multipliant les interdictions comminatoires qui provoquent l’incompréhension et la grande peur de la population. Celle-ci, divisée, trouve une forme d’unité et d’espoir dans la révolte d’un étudiant, Diego, qui organise la résistance. Son amplification inquiète le pouvoir en place qui amorce un recul. La Peste propose à Diego de laisser vivre sa fiancée, Victoria, à condition qu’il renonce à la lutte et quitte la ville avec elle. Son refus signe son arrêt de mort, mais libère la cité.
Sous sa forme allégorique, la pièce, lyrique et riche en symboles, se rapproche par certains aspects des « moralités » du Moyen Âge et des œuvres « autos sacramentales » du Siècle d’or espagnol. Elle constitue une dénonciation du pouvoir totalitaire et des effets qu’il produit. Elle s’en prend non seulement au franquisme, qui semble à première vue ciblé au regard de la localisation de l’œuvre, mais également à tous les régimes similaires dans le monde. Lors d’un échange avec le philosophe Gabriel Marcel, Camus précisait d’ailleurs à propos de L’État de siège : « J’ai voulu attaquer de front un type de société politique qui s’est organisé ou s’organise, à droite et à gauche, sur le mode totalitaire. Aucun spectateur de bonne foi ne peut douter que cette pièce prenne le parti de l’individu, de la chair dans ce qu’elle a de noble, de l’amour terrestre enfin, contre les abstractions et les terreurs de l’État totalitaire, qu’il soit russe, allemand ou espagnol » (Combat, décembre 1948).
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Écrit par
- Jean CHOLLET : journaliste et critique dramatique
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