L'ÉTÉ DE LA VIE (J. M. Coetzee)
L'Été de la vie (traduit de l'anglais par Catherine Lauga du Plessis, Seuil, 2010), troisième partie de la suite autobiographique de J. M. Coetzee, propose plusieurs éclairages obliques sur la vie d'un homme qui porte le nom de l'auteur sans toutefois s'identifier totalement à lui. Déjà dans Scènes de la vie d'un jeune garçon (1999) et Vers l'âge d'homme (2003), les deux premiers volets, le sujet s'exprimait à la troisième personne comme pour mieux affirmer la distance existant entre narrateur et auteur. Il est donc difficile de prendre pour parole d'Évangile L'Été de la vie, suite d'interviews fragmentaires réalisées par un prétendu biographe qui interroge cinq personnes qui ont côtoyé John. L'ensemble est enchâssé entre des fragments de journal intime suivis de notes en italique qui préludent à de possibles révisions ultérieures.
Les deux premiers volumes retracent d'une manière quasi linéaire l'enfance et l'adolescence de John, né dans une famille blanche sud-africaine dominée par une mère qui occupe tout l'espace et prône une éducation permissive qui contraste avec les valeurs autoritaires et brutales du puritanisme afrikaner ambiant. Désireux d'échapper à son univers qu'il juge provincial, John aspire à devenir écrivain dans la métropole de ses rêves. Arrivé à Londres dans les années 1960, il doit gagner sa vie comme programmateur chez I.B.M.
Rompant avec la chronologie, L'Été de la vie pousse la malice jusqu'à faire réaliser les interviews après la mort de l'auteur, ce qui souligne ironiquement la distance entre « réalité » et représentation autobiographique. Parmi les témoins consultés, Julia, la Sud-Africaine, et Sophie, la Française installée au Cap, ont eu une liaison avec John après son retour au pays dans les années 1970. Adriana, danseuse brésilienne, dit avoir subi les avances de John qu'elle soupçonnait de vouloir séduire sa fille adolescente. Margot, la cousine préférée retrouvée lors d'une réunion de famille dans la ferme ancestrale située dans le désert du Karoo, tempère les jugements portés sur ce John que certains soupçonnent d'homosexualité, tant il tranche avec les stéréotypes masculins de la société afrikaner. Pour Margot, « il y a en lui quelque chose de distant ou de froid, quelque chose sinon d'asexué, mais du moins de neutre, comme un petit enfant, sur le plan du sexe, est neutre ».
La multiplicité de ses anciennes maîtresses pourrait laisser croire que John est un homme à femmes. Et pourtant, il semble s'engager dans chaque relation nouvelle comme fortuitement, sans véritable conviction. S'il est un amant apparemment compétent sur un plan purement physique, l'expérience le laisse indifférent. Peut-être, se demande Julia, intellectualise-t-il trop l'amour au point de recourir à différentes recettes, notamment l'accompagnement de la musique de Schubert, pour atteindre l'extase. Sophie imagine qu'il est attiré par elle parce qu'elle va peut-être lui réciter du Ronsard aux accents de Couperin et devenir sa maîtresse française, le fantasme suprême pour un provincial anglo-saxon. En amour comme en littérature, John répugne aux épanchements, comme s'il craignait de se vider de lui-même dans une hémorragie de sentiments. Il semble prêt à sacrifier toute relation si elle menace de contrarier son activité littéraire. Et pourtant, parce qu'il reste sans doute influencé par l'idéal de la bohème, le véritable artiste est pour lui inévitablement maudit, le sexe constituant un moyen privilégié de trouver l'inspiration.
Afrikaner de par sa culture et ses mythes, John rejette l'idéologie nationaliste de l'apartheid et s'identifie à une anglicité, plus éclairée, plus ouverte sur le vaste monde. Il stigmatise[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre DURIX : professeur émérite, université de Bourgogne, Dijon
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