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L'EUROPE DANS SON HISTOIRE. LA VISION D'ALPHONSE DUPRONT (dir. F. Crouzet et F. Furet)

Conçues par la Société des amis d'Alphonse Dupront et organisées sous la direction de François Crouzet et de François Furet, les Journées d'études qui se sont déroulées à Florence en septembre 1996 ont eu pour thème la représentation du destin européen dans l'œuvre d'un historien dont la renommée ne cesse de grandir. L'Europe dans son histoire (P.U.F., Paris, 1996) rassemble les trente et une communications qui ont été alors présentées sur cette « vision » d'Alphonse Dupront (1905-1990).

À l'arrière-plan du parcours qui mène de la chrétienté à l'Europe : le « corps mythico-social du monde chrétien », une représentation collective saisie « dans sa plénitude médiévale », comme expression de la communauté de destin des peuples occidentaux. Au sein de cette société de salut orientée vers l'au-delà, la croisade – « pèlerinage paroxystique » – manifeste le sens, imprégné d'animalité et de spiritualité, de « l'exister ensemble ». À Jérusalem – nombril du monde, rencontre de l'Orient et de l'Occident qui « n'a pas connu d'autre ville sainte : ce que Rome ne fut jamais », souligne André Chouraqui –, sont ordonnées ces pulsions collectives que l'on retrouve à l'œuvre dans tous les mouvements à caractère eschatologique, analysés ici à travers leurs différentes composantes par André Vauchez.

Lente à se défaire, la chrétienté « ne s'est véritablement enfoncée dans le silence de l'histoire qu'au xviiie siècle ». Un nouveau cadre d'unité est entre-temps apparu. La formation d'une conscience européenne, dont on suit dans une seconde partie l'épanouissement, est ponctuée par les grandes découvertes qui sont « triomphes d'Européens » et dans lesquelles Katia de Queiros Mattoso voit, à la suite de Dupront, l'occasion d'une prise de conscience de l'Europe – celle des humanistes confrontée à la diversité et à l'altérité – par les Européens. Elle est aussi profondément marquée par la déchirure de la robe sans couture qu'opéra la Réforme, annonciatrice de la pluralité des voies de salut. Il revient à Bruno Neveu d'avoir bien mis en évidence le passage de la chrétienté à l'Église romaine comme nouveau référentiel. Sur fond de désagrégation d'une totalité mythique et de dissolution d'un ordre millénaire, Alphonse Dupront a étudié comment s'est dénouée l'alliance du pape et de l'empereur, comment s'est dessinée une Europe pluriconfessionnelle, pour finalement constituer une société laïque où le salut collectif le cède au salut individuel.

On retiendra, dans l'analyse de ce processus, la place assignée par Dupront au concile de Trente (1545-1563) – revanche de la Méditerranée sur la configuration océane –, qui a façonné pour trois siècles la catholicité. Au milieu d'un monde qui s'applique à percer les secrets de la nature, l'Église romaine, autorité sans territorialité, s'est imposée comme puissance spirituelle indépendante, gardienne du dépôt originel dans une continuité historique désormais centrée sur Rome, la Ville éternelle, dotée d'une sacralité neuve. On relèvera également l'importance attribuée au nouvel ordre politico-juridique mis en place par le traité de Westphalie (1648) : au xviie siècle, une Europe politique s'organise qui, propice à la coexistence religieuse, défendra ses valeurs dans la lutte où se perpétue l'idéal de la chrétienté contre le Croissant. On sera, enfin, particulièrement attentif à deux propos, l'un tenu par Jean Mesnard, sur la quête des valeurs dans l'Europe classique, l'autre par Marc Fumaroli sur la République des Lettres selon Alphonse Dupront. Ce dernier a clairement discerné comment,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de L'Année sociologique

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