Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

L'HARMONIE DES PLAISIRS. LES MANIÈRES DE JOUIR DU SIÈCLE DES LUMIÈRES À L'AVÈNEMENT DE LA SEXOLOGIE (A. Corbin)

Du Miasme et la jonquille (1982) aux Cloches de la terre (1990), Alain Corbin a tracé sa voie en se faisant l'historien des sens, une de ces recherches que Lucien Febvre appelait de ses vœux, et qui allaient radicalement modifier l'historiographie française et lui donner un prestige international. Alain Corbin possède une connaissance profonde des traités de théologie, des ouvrages médicaux et de la littérature de fiction. Pour ce qui concerne la fiction, on lui reconnaîtra le mérite de ne pas réduire le roman à un simple document.

L'Harmonie des plaisirs. Les manières de jouir du siècle des Lumières à l'avènement de la sexologie (Perrin, Paris, 2008) est un essai consacré au plaisir sexuel tel qu'il fut défini, décrit, limité durant plus de deux siècles par les médecins et les prêtres. Vaste programme. Objet difficile à saisir, qui relève du secret de l'intimité. Si l'intérêt pour les pratiques sexuelles naît d'un questionnement contemporain, Alain Corbin se défend de tout anachronisme. Son souci est d'abord de ne pas projeter nos catégories sur le passé – soit pour l'exalter, soit pour le dénigrer – au risque de ne pas saisir sa cohérence. Ainsi, la pensée théologique est éloignée de nos imaginaires et de nos pratiques. Il n'empêche qu'elle imposa des comportements, détermina des conduites et incita à des transgressions.

À partir d'épisodes tirés de L'Enfant du bordel, ou les Aventures de Chérubin, récit attribué à Pigault-Lebrun (1797), Alain Corbin repère les trois domaines dont relève la jouissance sexuelle, à savoir la médecine, le théologie, la fiction. Ils ne sont pas séparables ni même, d'un certain point de vue, antagonistes, et l'auteur souligne cette unité. « Médecins, théologiens et pornographes modèlent les désirs, les jouissances, les regrets, suscitent les trangressions, ordonnent les attitudes à l'égard de l'autre, partagées entre le rêve fusionnel et l'instrumentalisation. » Il n'est pas ici possible de résumer, fût-ce brièvement, les riches analyses que propose en trois parties L'Harmonie des plaisirs. Chacune d'entre elles correspond à un des domaines indiqués dès l'introduction. Comment la médecine, du xvie au xviiie siècle, définit-elle le plaisir, sa finalité et ses limites ? Il existe chez les théologiens et les médecins une même valorisation du coït, car il correspond au vœu de la nature : procréer. Pour les uns et les autres, il y aura maladie ou péché quand le couple en vient à dissocier jouissance et fécondation. L'abus comme la continence sont ici condamnés. Au même titre que d'autres plaisirs tels que l'onanisme, les « fraudes conjugales », la sodomie ou le lesbianisme. La médecine diagnostique puis tente de guérir.

Bien peu de chose sépare en ce domaine la médecine qui se veut laïque et la théologie. Quand on s'éloigne du vœu de la nature, pour la théologie l'offense est faite à Dieu ; pour la médecine, elle l'est à la nature. Le confesseur qui cherche à obtenir l'aveu du pécheur joue un rôle proche du médecin interrogeant l'onaniste ou le sodomite. Il existe pourtant des différences. Saint Paul s'est demandé si l'on peut se sauver par le mariage et, au xvie siècle, le P. Sanchez a exalté le coït conjugal dans De Sancto matrimonii sacramento. Après lui, saint François de Sales a rendu hommage au ménage amoureux. Ce qui va de pair avec la dénonciation du « coït interrompu » et de toutes les formes du plaisir « hors du vase », et la recherche obstinée de la faute possible.

Il en va tout autrement avec la littérature pornographique traitée dans la troisième partie du livre, Le Comble des jouissances. Elle se situe hors des normes définies par la médecine et la théologie. On ne trouvera ici ni rêve[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France

Classification