L'HERMÉNEUTIQUE DU SUJET (M. Foucault) Fiche de lecture
L'Herméneutique du sujet (Le Seuil-Gallimard, Paris, 2001) est la retranscription annotée du cours prononcé par Michel Foucault en 1982 au Collège de France. L'entreprise de publication des cours, commencée avec Il faut défendre la société (cours de 1976 publié en 1997) et Les Anormaux (cours de 1974 publié en 1999), se poursuivait donc, nous donnant à entendre un Foucault différent de celui de l'œuvre écrite, plus inventif, moins dogmatique, multipliant les lignes de recherche. Ces leçons sont tout entières consacrées aux techniques de soi dans l'Antiquité gréco-latine, avec une nette insistance sur les écoles stoïciennes. On connaissait déjà les résultats des travaux de Foucault sur la période antique (L'Usage des plaisirs et Le Souci de soi, Gallimard, 1984), mais limités au cadre d'une histoire de la sexualité. Il s'agissait alors de montrer comment les moralistes anciens préconisaient, pour structurer le rapport de chacun à son sexe, une attitude de domination active, plutôt que d'herméneutique minutieuse (inaugurée avec l'invention chrétienne des aveux de la chair) : faire taire ses plaisirs plutôt que faire parler ses désirs.
La publication de ce cours nous offre des perspectives plus ambitieuses. Foucault s'attache ici à l'étude de la constitution historique d'un sujet dans un rapport déterminé à la vérité. L'alternative majeure n'est plus entre la maîtrise grecque des plaisirs et l'herméneutique chrétienne du désir, mais entre le souci de soi et la connaissance de soi. La connaissance de soi implique une série de techniques cognitives (examen, introspection, aveu, etc.) permettant au sujet de se poser comme objet d'un discours vrai sur lui-même. C'est le problème du « qui suis-je ? », et de l'identité personnelle à conquérir. Le souci de soi recouvre, quant à lui, un ensemble de techniques concourant à la transformation du mode d'être du sujet, au moyen de pratiques réglées de vérité (purifications, épreuves, tri des représentations, abstinences, etc.). L'individu se construit ici comme sujet en se posant la question « que faire de mon existence ? ». C'est le problème de la vie comme œuvre à accomplir.
Une fois marquée cette césure, Foucault s'attache plus précisément à décrire une consécration majeure du souci de soi dans les écoles philosophiques de la période hellénistique et romaine (stoïcisme, épicurisme et cynisme). Cet âge d'or vient après une première période (Platon) où le souci de soi, réservé à une jeune élite, se dépassait lui-même dans la contemplation du divin ou le gouvernement des autres. Au fil du temps, il va s'étendre indéfiniment – tous devront se soucier de soi, à tout âge de la vie – et prendre une consistance autonome : on se soucie de soi pour se constituer comme sujet, dans l'immanence de soi à soi. Foucault s'appuie ici sur une lecture patiente des textes de Sénèque, Épictète, Marc Aurèle, Épicure, Musonius Rufus...
Quels sont les principaux traits éthiques de ce sujet ? La concentration athlétique, d'abord. Revenir à soi ne signifie pas se prendre comme objet de connaissance, mais intensifier la présence à soi de manière à bien se préparer pour l'action, et à s'accompagner dans l'existence. Autre trait, le renforcement éthique. Les exercices proposés (épreuve : je m'entraîne à considérer les aléas de l'existence comme des défis à mes capacités de résistance ; la sélection des mathèmes utiles : je m'efforce d'assimiler, dans les sciences de la nature, les seuls énoncés qui rassérènent), tendent à construire un sujet fort, indépendant, endurant, s'efforçant d'instaurer de soi à soi un rapport d'adéquation heureuse et permanente : image du sujet comme forteresse imprenable ou port d'attache. Par ailleurs, on a affaire à un[...]
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Écrit par
- Frédéric GROS : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris
Classification
Média