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L'HISTOIRE VÉGÉTALISÉE. ORNEMENT ET POLITIQUE À ROME (G. Sauron) Fiche de lecture

Dans le monde submergé d'images vulgairement utilitaires où nous évoluons, nous éprouvons quelque difficulté à admettre que, en d'autres temps, l'œuvre ornementale a assumé une fonction essentielle dans la transmission des messages politiques et religieux. Quand il s'agit de décor architectural, à caractère rythmique ou répétitif, cette difficulté structurelle se double d'une réticence esthétique, car nous demeurons, consciemment ou non, sous le coup de l'anathème fulminé au début du xxe siècle par Adolf Loos : « L'ornement est un crime. » Au mieux accorde-t-on un regard amusé ou nostalgique aux fantaisies de « l'art floréal ». Or c'est précisément l'ornement végétal dont Gilles Sauron se donne ici pour tâche de décrypter les significations dans la Rome de la fin de la République et du règne d'Auguste (coll. Antiqua, éd. Picard, 2001).

L'étude de Gilles Sauron prend pour point de départ l'autel de la Paix d’Auguste à Rome, et plus précisément la composition végétale qui règne sur le registre inférieur de son enclos marmoréen. Deux messages peuvent y être déchiffrés, qui accompagnent et complètent celui de la procession des dignitaires politiques et religieux qui occupent le registre supérieur. L'acanthe qui s'y déploie, aux dépens du lierre et de la vigne, exprime, dans son mouvement majestueux et régulier, dans son exubérance maîtrisée, le triomphe d'Auguste et de sa divinité protectrice, Apollon, garant du nouvel âge d'or instauré par la paix reconquise après tant d'années de guerres civiles. Les symboles de Dionysos, dont Antoine et Cléopâtre se prétendaient les représentants sur cette terre, y sont désormais relégués au second plan, en vertu d'une rigoureuse hiérarchie des pouvoirs et des valeurs.

Une observation attentive des variantes les plus ténues introduites dans l'ordonnance des rinceaux acanthisés, dont les volutes s'engendrent mutuellement en un mouvement d'une vitalité puissante mais au premier regard uniforme, autorise Gilles Sauron à retrouver, en correspondance verticale avec les personnages de la frise supérieure, l'évocation de toute la genèse du Principat et des options et ambitions du nouveau régime. Ainsi apparaissent, au gré de la position des tiges et des efflorescences, les petits-fils et héritiers d'Auguste, les Caesares, qui figurent au-dessus, la déroute de la flotte d'Antoine à Actium en 31 avant J.-C., le Rameau d'or dont l'emplacement est désigné par les cygnes, oiseaux apolliniens de Délos, etc. Ces détails, souvent minuscules, sont interprétés par Gilles Sauron avec une ingéniosité qui ne paraît abusive qu'à ceux qui se refusent à le suivre dans l'univers de cette période ; en fait, ils constituent tous des références explicites aux Bucoliques ou à l'Énéide, dont ils tirent l'essentiel de leur valeur sémantique. Certes, le rapprochement d'une image et d'une citation littéraire est toujours possible, et de nombreux exégètes se sont livrés à ce genre d'exercice ; mais, pour que la mise en relation soit pertinente et ne relève pas d'un formalisme plus ou moins arbitraire, il faut qu'elle s'intègre à une vision cohérente de l'ensemble du motif figuré aussi bien qu'à une compréhension globale du type concerné. C'est ce qu'a réalisé Gilles Sauron, en montrant que l'œuvre plastique et l'œuvre poétique procèdent d'une idéologie analogue et suivent, avec leurs moyens propres, un cheminement parallèle.

La méthode est en pareil cas, on le comprendra sans peine, le seul facteur de légitimation de la démarche interprétative. Celle-ci a souvent semblé compliquée, mais son caractère apparemment sinueux s'explique par la nécessité de prendre en compte[...]

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Écrit par

  • : chaire de civilisation et archéologie romaines à l'Institut universitaire de France, université de Provence-Aix-Marseille-I

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