HOMME AUX LOUPS L'
Un des plus célèbres patients de Sigmund Freud, Sergeï Petrov-Pankieff, est mort à Vienne, la ville même où exerça son plus grand thérapeute et d'où partit cette nouvelle science qu'est la psychanalyse et sans laquelle, répétait Sergeï, « je n'aurais jamais pu supporter ce que la vie m'a réservé ». Il avait commencé son traitement avec Freud à l'âge de vingt-six ans. Au cours de sa longue vie, il n'a guère cessé de recourir à cette thérapeutique que son cas, depuis longtemps, avait magistralement illustrée. Il continuait de se désigner par le nom que Freud lui avait donné : « l'Homme aux loups ».
Né à Kharkov, en Ukraine, le 6 janvier 1887 – plus précisément le soir de Noël 1886, selon le calendrier julien alors en usage –, il appartenait à une famille de l'aristocratie et fit ses études de droit à Saint-Pétersbourg. Atteint d'accès maniaco-dépressifs à la suite du suicide de sa sœur Anna, en 1906, et souffrant d'une blennorragie, il se fit soigner, sur le conseil d'un ami de sa famille nommé Wolf, à Munich par le docteur Emil Kraepelin, un des maîtres de la psychiatrie allemande, dont il allait épouser l'infirmière, Theresa. Kraepelin l'adressa finalement à Freud, avec qui il poursuivit, de 1910 à 1914, la psychanalyse dont celui-ci, avec l'autorisation du patient, publiera le récit en 1918 sous le titre Aus der Geschichte einer infantilen Neurose (« Extrait de l'histoire d'une névrose infantile : I'Homme aux loups », in Cinq Psychanalyses, P.U.F., 1954).
L'enfance de Sergeï se trouvera éclairée par cette cure et, comme il le dira plus tard dans ses Mémoires, sa rencontre avec Freud aura constitué l'élément central de son existence ; c'est elle qui lui permet de comprendre et d'organiser les éléments de son passé et de son avenir. Au cours de son analyse, Sergeï se rappelle avoir connu, dans sa petite enfance, divers symptômes tels qu'une phobie des loups : sa sœur aimait alors à le terroriser avec les images d'un loup dressé, une patte en avant, qui illustraient des contes d'enfants tels que Le Petit Chaperon rouge ou Le Loup et les sept chevreaux. De plus, le patient rapporte le fameux rêve qui devait réapparaître au cours du traitement à de multiples reprises. À l'âge de quatre ans, il avait rêvé que six ou sept loups blancs aux queues touffues comme des renards, les oreilles dressées comme celles des chiens, étaient assis immobiles sur les branches d'un noyer, face à la fenêtre, et le regardaient fixement. L'enfant s'était éveillé en proie à une grande frayeur. Le narrateur alors dessina – il devait par la suite s'adonner à la peinture – l'arbre et les loups à l'appui de sa description. Freud en déduisit que ce rêve rappelait « quelque chose » qui devait s'être passé à une époque plus reculée encore et que Sergeï n'avait compris qu'à quatre ans. Il devait s'agir d'une scène terrifiante que celui-ci avait vécue à l'âge de dix-huit mois, alors qu'il dormait dans la chambre de ses parents, à savoir la scène « originaire » ou « primitive » (Ursene) de ses parents faisant l'amour dans la position des bêtes : le père dressé, la mère accroupie. Les loups du rêve – ces loups dont l'image l'a poursuivi jusque dans les personnes qui ont compté dans sa vie (et qui étaient souvent des Wolf) – représentaient ainsi les parents, la cause de son angoisse.
Cet aristocrate russe, ruiné à la suite de la Première Guerre mondiale et de la révolution bolchevique, fut condamné à mener à Vienne une vie très pauvre et fut pris en charge par des psychanalystes, qui, pendant six années consécutives, organisèrent à son profit une collecte, tandis que Freud lui-même lui proposait en 1919 de reprendre une[...]
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Écrit par
- Pamela TYTELL : Ph.D. de Columbia University, New York, docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Lille-III
Classification
Autres références
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