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L'HOMME QUI MARCHE. UNE ICÔNE DE L'ART DU XXe SIÈCLE

Entre signe et image

On découvre d’abord dans l’exposition la Femme qui marche I, bronze de l’époque surréaliste, qui marque la rupture de Giacometti avec les « objets à fonctionnement symbolique » et un dialogue renoué avec la figuration, à travers la médiation de l’art égyptien, analysé dans le catalogue de l’exposition par Vincent Blanchard. Avant le retour crucial au modèle vivant en 1935 et la rupture avec André Breton qu’il génère, c’est autour de cette figure que Giacometti invente son style personnel. Moderne, la statue doit aussi, par-delà L’Homme qui marche de Rodin (1907, musée Rodin, Paris) aux modèles antiques tels que le bas-relief de Gradiva, la « femme qui marche en avant » (musée Chiaramonti, musées du Vatican) et séduit l’archéologue Norbert Hanold dans la nouvelle de Wilhelm Jensen analysée par Freud en 1907.

Il faut ensuite attendre l’après-guerre pour que Giacometti modèle en 1947 L’Homme qui marche, préparé par la figure masculine du Projet pour un monument à la mémoire de Gabriel Péri en 1946, et aussi par un « merveilleux personnage filiforme » de 1945-1946 évoqué dans des témoignages et dont on a perdu toute trace. La fragilité et la détermination de ce bronze gracile qui se tient debout en équilibre précaire sont accentuées par les rehauts de peinture sur le visage et les cheveux, à l’effet de présence saisissant. Cet Homme qui marche paraît ouvrir au mystère existentiel de l’être-là, que Giacometti approfondit dans les années qui suivent en installant la silhouette dans l’espace quotidien de la rue ou de la place – La Place (1948), Homme qui marche sous la pluie (1948), Homme traversant une place (1949). Ces figures en situation inspirent à Sartre l’essai de 1948, La Recherche de l’absolu : « il faut qu’il [le sculpteur] inscrive le mouvement dans l’immobilité totale », écrit le philosophe, pointant la contradiction esthétique active au cœur de ces sculptures.

Enfin, à l’occasion d’une commande, demeurée inaboutie, pour une création devant la Chase Manhattan Bank à New York, Giacometti reprend le sujet à la fin des années 1950 et invente les figures de L’Homme qui marche I, II puis III, qui dépassent légèrement la grandeur nature. Ces bronzes, immédiatement devenus très célèbres, semblent incarner la détermination de l’homme à aller de l’avant comme sa fragilité essentielle, manifestée dans le modelé et dans les fragments de plâtre accrochés à l’armature de métal. Puis, et jusqu’à la mort de Giacometti en 1966, ce sont de nouveaux dessins au crayon ou au stylo à bille, ou les photographies, de Scheidegger en noir et blanc ou d’Annette Giacometti en couleurs en 1964 pour la version de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, avant que les installations de ces bronzes dans les expositions, à leur tour photographiées, métamorphosent la création sculpturale en une icône sans cesse réinventée. Avec une réelle fécondité esthétique, l’exposition de 2020 met au jour ce système tout en le prolongeant.

— Paul-Louis RINUY

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII

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